Aller le contenu

L’arrêt Roe v. Wade du 22 janvier 1973 (III) : vers un retour au droit à l’avortement aux Etats-Unis

image_pdfimage_print

En mars 1970, les avocates Linda Coffee et Sarah Weddington saisissent le tribunal du district nord du Texas (Dallas) pour contester la constitutionnalité de la loi anti-avortement du Texas. L’affaire est évoquée le 23 mai 1970 devant une formation collégiale présidée par la juge Sarah Hughes [1].

Photographie de la juge fédérale Sarah T. Hughes (février 1972), State Bar of Texas.

Le 17 juin 1970, le tribunal rend une décision «per curiam» (c’est-à-dire représentant l’opinion commune des trois juges) [2]. Il écarte d’emblée le recours de John et Mary Doe (Marsha et David King) qu’il juge irrecevable et se prononce uniquement sur le recours de Jane Roe (Norma McCorvey) et l’intervention du docteur James H. Hallford [3].

Les juges reconnaissent, dans leur décision, le droit des femmes seules ou des couples mariés de pouvoir choisir d’avoir ou non des enfants [4]. Ils déclarent la loi texane non conforme à la constitution, considérant qu’elle viole le droit au respect de la vie privée garanti par le neuvième amendement de la constitution américaine [5]. Dans leur motivation, les juges se réfèrent au raisonnement juridique développé par le juge Arthur Joseph Goldberg dans l’arrêt Griswold v. Connecticut rendu en 1965 par la Cour suprême des Etats-Unis [6]. Ils relèvent particulièrement le caractère trop vague et général des dispositions de la loi texane [7]. Le tribunal refuse par contre d’enjoindre à l’Etat du Texas de ne plus appliquer la loi anti-avortement et de cesser de poursuivre les médecins pratiquant des avortements [8].

Photographie de Sarah Weddington en 1971 dans son bureau à Austin, se préparant pour l’audience devant la Cour Suprême des Etats-Unis, postée sur Twitter par Sarah Weddington le 6 mars 2014

Cette décision est une victoire en demi-teinte pour les plaignants [9]. Bien qu’elle reconnaisse le droit fondamental des femmes de pouvoir choisir d’avoir ou non des enfants, elle est dépourvue d’effet pratique [10]. Le Procureur Wade indique très vite qu’il continuera à poursuivre les personnes pratiquant des avortements. A l’automne 1970, Norma McCorvey, alias «Jane Roe», accouche finalement de l’enfant, qui est proposé à l’adoption [11]. Marsha King, alias «Mary Doe», tombe à nouveau enceinte et se rend pour la deuxième fois au Mexique pour subir un avortement [12]. La situation du docteur James H. Hallford demeure délicate sur le plan pénal [13].

Chaque partie décide de faire appel devant la Cour d’appel fédérale du cinquième District située à la Nouvelle Orléans [14]. Linda Coffee et Sarah Weddington ne sont pas sûres de pouvoir assumer la durée et le coût de la procédure [15]. Finalement, elles sont contactées par Roy Lucas qui les informe de la possibilité de faire appel directement devant la Cour Suprême [16]. Il se charge lui-même de rédiger l’appel [17].

Au printemps 1971, la Cour suprême des Etats-Unis accepte d’entendre l’affaire Roe v. Wade en même temps qu’une autre affaire Doe v. Bolton [18]. L’audience est fixée au 13 décembre 1971 [19]. C’est finalement Sarah Weddington, 26 ans, qui plaidera seule le dossier face à Jay Floyd, avocat de la partie adverse représentant Henry Wade, procureur de Dallas [20].

 à suivre..


1. [↑] Voir le chapitre “The Unfinished Story of Roe v. Wade” de l’ouvrage à paraître en 2019 “Reproductive Rights and Justice Stories” : Melissa Murray, Kate Shaw et Reva Siegel eds, page 14.

2. [↑] Idem Melissa Murray, Kate Shaw et Reva Siegel eds, page 14 ; voir la décision de première instance du 17 juin 1970 Jane ROE, Plaintiff,  v. Henry WADE, Defendant, v. James Hubert HALLFORD, M.D., Intervenor. John DOE and Mary Doe, Plaintiffs, v. Henry WADE, Defendant, rendu par la United States District Court, N. D. Texas, Dallas Division, sur le site internet https://law.justia.com/.

3. [↑] Idem décision de première instance du 17 juin 1970 ; Le tribunal estime que le couple John et Mary DOE n’a pas d’intérêt à agir («Plaintiffs John and Mary Doe failed to allege facts sufficient to create a present controversy and therefore do not have standing.« ) à la différence de Jane ROE et du docteur HALLFORD (« Plaintiff Jane Roe, plaintiff-intervenor James Hubert Hallford, M.D., and the members of their respective classes have standing to bring this law-suit») ; l’ouvrage Before Roe v. Wade : Voices That Shaped the Abortion Debate Before the Supreme Court’s Ruling, de Linda Greenhouse et Reva B. Siegel, Yale Law School, 2012, page 225.

4. [↑] Idem décision de première instance du 17 juin 1970: «plaintiffs argue as their principal contention[7] that the Texas Abortion Laws must be declared unconstitutional because they deprive single women and married couples of their right, secured by the Ninth Amendment,[8] to choose whether to have children. We agree» ; voir l’ouvrage Before Roe v. Wade : Voices That Shaped the Abortion Debate Before the Supreme Court’s Ruling, de Linda Greenhouse et Reva B. Siegel, Yale Law School, 2012, pages 224-225.

5. [↑] Idem décision de première instance du 17 juin 1970 : «The essence of the interest sought to be protected here is the right of choice over events which, by their character and consequences, bear in a fundamental manner on the privacy of individuals».

6. [↑] Idem décision de première instance du 17 juin 1970 : «The manner by which such interests are secured by the Ninth Amendment is illustrated by the concurring opinion of Mr. Justice Goldberg in Griswold v. Connecticut».

7. [↑] Idem décision de première instance du 17 juin 1970 : «Not only are the Texas Abortion Laws unconstitutionally overbroad, they are also unconstitutionally vague» ; idem Linda Greenhouse et Reva B. Siegel, Yale Law School, 2012, pages 224-225.

8. [↑] Idem décision de première instance du 17 juin 1970 : «We therefore conclude that we must abstrain from issuing an injunction against enforcement of the Texas Abortion Laws» ; idem Linda Greenhouse et Reva B. Siegel, Yale Law School, 2012, page 225.

9. [↑] Voir l’ouvrage  Roe v. Wade: The Abortion Rights Controversy in American History, de N. E. H. Hull et Peter Charles Hoffer, 2001, pages 126-127 ; idem Linda Greenhouse et Reva B. Siegel, Yale Law School, 2012, page 225.

10. [↑] Idem Linda Greenhouse et Reva B. Siegel, Yale Law School, 2012, page 225.

11. [↑] Idem N. E. H. Hull et Peter Charles Hoffer, 2001, page 127.

12. [↑] Idem N. E. H. Hull et Peter Charles Hoffer, 2001, page 127.

13. [↑] Idem N. E. H. Hull et Peter Charles Hoffer, 2001, page 127.

14. [↑] Idem N. E. H. Hull et Peter Charles Hoffer, 2001, pages 134, 137 et 138 ; voir l’ouvrage, Roe v. Wade: The Untold Story of the Landmark Supreme Court Decision that Made Abortion Legal, de Marian Faux, 2001, page 168-169.

15. [↑] Idem N. E. H. Hull et Peter Charles Hoffer, 2001, page 138.

16. [↑] Idem N. E. H. Hull et Peter Charles Hoffer, 2001, page 138 ; idem Marian Faux, 2001, page 169-170.

28 U.S. Code § 1253.Direct appeals from decisions of three-judge courts : Except as otherwise provided by law, any party may appeal to the Supreme Court from an order granting or denying, after notice and hearing, an interlocutory or permanent injunction in any civil action, suit or proceeding required by any Act of Congress to be heard and determined by a district court of three judges.(June 25, 1948, ch. 646, 62 Stat. 928.)

17. [↑] Idem N. E. H. Hull et Peter Charles Hoffer, 2001, page 138 ; idem Marian Faux, 2001, page 175.

18. [↑] Idem Melissa Murray, Kate Shaw et Reva Siegel eds, page 14.

19. [↑] Idem Linda Greenhouse et Reva B. Siegel, Yale Law School, 2012, page 225 ; idem N. E. H. Hull et Peter Charles Hoffer, 2001, page 150.

20. [↑] Idem Linda Greenhouse et Reva B. Siegel, Yale Law School, 2012, page 225 ; idem N. E. H. Hull et Peter Charles Hoffer, 2001, pages 155, 157.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *