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L’habeas corpus (VII) : l’habeas corpus aux Etats-Unis après 2001

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Les attentats du 11 septembre 2001 ont ravivé la question du droit à l’habeas corpus aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. En réaction, les deux pays adoptent des législations d’exception permettant la détention sans inculpation ni jugement de personnes soupçonnées de terrorisme pour une durée illimitée (indefinite detention).

Des associations de défense des libertés, des juristes, des intellectuels se mobilisent dès 2002. La justice saisie, les détentions ordonnées par le pouvoir exécutif se heurtent aux tentatives de contrôle des juges [1].

Les entorses à l’habeas corpus aux Etats-Unis à compter de 2001

Le gouvernement Bush propose peu après les attentats de 2001 une série de dispositions pour lutter contre le terrorisme. L’objectif de l’exécutif est d’avoir les coudées franches dans la lutte contre le terrorisme. Il bénéficie alors de la confiance des deux tiers des américains.

George W. Bush signant le Patriot Act le 26 octobre 2001, photographie officielle de la Maison Blanche (Eric Draper)

Le droit à l’habeas corpus, c’est-à-dire le droit de contester la légalité d’une privation de liberté, a rarement été suspendu dans l’histoire américaine. La suspension a notamment été ordonnée par le Président Abraham Lincoln en 1861 pendant la guerre civile [2] et par le Président Franklin D. Roosevelt en 1942 après l’attaque japonaise de Pearl Harbour [3].

La constitution américaine de 1787 prévoit que sa suspension est interdite sauf en cas de rébellion ou d’invasion, si la sécurité de l’Etat l’exige. Le droit à l’habeas corpus, pourtant ancré dans ce pays de common law, est battu en brèche après 2001 au nom des impératifs de sécurité.

  • Le Patriot Act de 2001

La loi phare, le Patriot Act [4], votée par le Congrès, est adoptée par le président Bush le 26 octobre 2001. Elle renforce fortement les pouvoirs en matière de détention d’étrangers de l’Attorney General, à la tête du Département de la Justice (DoJ). Aux termes de l’article 412, l’Attorney General peut ordonner le placement en détention de tout étranger sur la base d’une certification selon laquelle il y aurait des «motifs raisonnables de croire» (reasonable grounds to believe) qu’il est engagé dans des activités terroristes ou met en péril la sécurité nationale des États-Unis.

John Ashcroft, U.S. Attorney General (2001–2005), photographie officielle United States Department of Justice

La détention est désormais prononcée pour une durée initiale de sept jours. Durant cette période, l’Attorney General doit soit engager une procédure d’expulsion soit notifier aux personnes concernées les charges retenues contre elles. A défaut, celles-ci doivent être libérées.

Néanmoins, si l’expulsion n’apparaît pas possible à court terme et si la libération de l’individu présente un danger pour la sécurité nationale, la communauté ou toute personne, l’Attorney General peut renouveler sa détention par périodes de six mois après réévaluation. Aucune limite dans le temps n’est dans cette hypothèse fixée. Ainsi, si le pays d’origine du détenu refuse son retour, celui-ci peut être détenu indéfiniment. Ceci sans charge ni procès. Le Patriot Act prévoit par contre la possibilité de contester la détention par le biais de la procédure d’habeas corpus.

  • Le military order de 2001

Le gouvernement Bush adopte également des mesures importantes par décret présidentiel sans faire appel au Congrès. Le 13 novembre 2001, il institue avec le Military Order [5] des tribunaux militaires destinés à juger les prisonniers de la «guerre contre le terrorisme». Ces tribunaux ont compétence exclusive. Tout recours devant un autre juridiction est exclu. Le gouvernement Bush contestera par la suite que l’objectif était de nier le droit de présenter une requête en habeas corpus.

Note du 28/12/2001 sur la possibilité d’une requête en habeas corpus pour les étrangers détenus à Guantanamo Bay, Cuba, U.S. Department of Justice, Wikimedia Commons.

Le 28 décembre 2001, deux avocats conseillers de l’Attorney General, John Yoo et Patrick Philbin, adressent une note au conseiller juridique du Département de la Défense, William G. Haynes II, dans laquelle ils indiquent que les federal district courts (tribunaux fédéraux) ne seraient a priori pas compétentes pour statuer sur les requêtes en habeas corpus pour un étranger détenu à Guantanamo Bay à Cuba [6].

  • Le Legal Black Hole de Guantanamo

Johan Steyn, un juge anglais de la plus haute cour de justice d’Angleterre et du pays de Galles, évoque en novembre 2003 lors d’une conférence à Londres, sous forme de réquisitoire, ce qu’il appelle le «legal Black hole» (le trou noir juridique) et un «monstrous failure of justice» (un échec énorme de la justice) [7]. Il affirme que l’objectif recherché des détentions à Guantanamo est de priver les prisonniers concernés des règles de l’Etat de droit.

Il rappelle que l’Angleterre a elle-même été tentée dans le passé d’envoyer des prisonniers dans des lieux reculés pour éviter qu’ils soient soumis aux règles de droit jusqu’à ce qu’il y soit mis fin en 1679. Il fait un parallèle direct avec la pratique adoptée au 17ème siècle par Edward Hyde, Premier Comte de Clarendon (Lord Chancelier du roi anglais Charles II) qui consistait à envoyer les détenus gênants dans des lieux éloignés comme l’île de Jersey pour les soustraire au contrôle des juges. Il précise que cette pratique a été déclarée illégale en Angleterre en 1679 avec l’Habeas Corpus Act et a valu à Clarendon d’être destitué en 1667 pour violations flagrantes de l’habeas corpus.

Le juge anglais Johan Steyn, par Jake Wallis Simons, Migration Museum Project

Selon lui, les 660 prisonniers transférés début 2002 (dont des enfants de 13 à 16 ans) à Guantanamo Bay n’ont aucune possibilité de contester la légalité de leur détention. Ils ne bénéficient pas davantage d’un procès équitable en étant jugés dans le secret par des militaires jouant le rôle à la fois d’agents chargés de mener les interrogatoires, procureurs, avocats de la défense, juges et en cas de prononcé d’une peine de mort, de bourreaux.

Début 2002, le Center for Constitutional Rights (Centre pour les droits constitutionnels, CCR) a présenté des requêtes en habeas corpus au nom de détenus australiens (Mamdouh Habib et David Hicks) et britanniques (Shafiq Rasul et Asif Iqbal). Le recours de douze koweïtiens (affaire al Odah v. Bush) est joint ultérieurement.

Incarcérés depuis début 2002 à Guantanamo, ils se sont vus refuser l’accès à un avocat et à une cour de justice et contestent la légalité de leur détention. Le tribunal de District pour le Dictrict de Columbia en juillet 2002, puis la cour d’appel des États-Unis pour le circuit du district de Columbia en mars 2003 rejettent leurs requêtes.

La résistance de la Cour suprême

A partir de 2004, débute un bras de fer entre la Cour suprême des Etats-Unis d’une part et l’administration Bush et ses soutiens au Congrès d’autre part. La haute cour va rappeler à plusieurs reprises jusqu’en 2008 le droit fondamental à l’habeas corpus. Elle réussit avec un succès relatif. Ses décisions, régulièrement contournées, montrent leurs limites après 2008.

  • La décision Rasul v. Bush (28 juin 2004)
Le juge John Paul Stevens, par Steve Petteway

En 2004, à l’occasion de l’arrêt Rasul v. Bush [8], la Cour suprême des Etats-Unis juge que le juridictions américaines sont compétentes pour juger de la légalité de la détention des prisonniers non-Américains détenus sur la base de Guantánamo contrôlée par les Etats-Unis. Elle souligne que si Guantanamo se situe en dehors du territoire américain, la base navale de Guantanamo occupée par les Etas-Unis depuis 1903 est quant à elle placée sous le contrôle et la juridiction complète des Etats-Unis.

Le juge John Paul Stevens, auteur de l’opinion majoritaire, se fonde notamment sur la pratique et la juriprudence des juridictions anglaises au 18ème qui reconnaissaient un droit à l’habeas corpus aussi bien aux étrangers détenus au sein du Royaume, qu’aux personnes détenus dans des territoires dits exemptés (comme les Cinque Ports, etc.) ou dans un territoire sous domination de la couronne britannique.

à suivre…


1. [↑] Voir l’ouvrage Law, Liberty and the Constitution par Harry Potter, 2015, pages 272 et suivantes (chapitre 29 Liberty Sacrificed to Security) ; l’ouvrage The Power oh Habeas Corpus in America, From the King’s Prerogative to the War on Terror, par Anthony Gregory, 2013, page 185.

2. [↑] Idem Anthony Gregory, 2013, pages 91-105 (chapitre 6 : Suspension and Civil War).

3. [↑] Idem Anthony Gregory, 2013, pages 143-159 (chapitre 9 : The Writ in World War).

4. [↑] Voir l’ouvrage Habeas Corpus After 9/11, Confronting America’s New Global Detention System, par Jonathan Hafetz, 2012, page 13 ; voir le texte de la loi sur le site du Congrès américain (Library of Congress https://www.loc.gov) : https://www.congress.gov/bill/107th-congress/house-bill/3162, et notamment l’article 412 :

SEC. 412. MANDATORY DETENTION OF SUSPECTED TERRORISTS; HABEAS CORPUS; 
            JUDICIAL REVIEW.

    (a) In General.--The Immigration and Nationality Act (8 U.S.C. 1101 
et seq.) is amended by inserting after section 236 the following:

 ``mandatory detention of suspected terrorists; habeas corpus; judicial 
                                 review

    ``Sec. 236A.  (a) Detention of Terrorist Aliens.--
            ``(1) Custody.--The Attorney General shall take into custody 
        any alien who is certified under paragraph (3).
            ``(2) Release.--Except as provided in paragraphs (5) and 
        (6), the Attorney General shall maintain custody of such an 
        alien until the alien is removed from the United States. Except 
        as provided in paragraph (6), such custody shall be maintained 
        irrespective of any relief from removal for which the alien may 
        be eligible, or any relief from removal granted the alien, until 
        the Attorney General determines that the alien is no longer an 
        alien who may be certified under paragraph (3). If the alien is 
        finally determined not to be removable, detention pursuant to 
        this subsection shall terminate.
            ``(3) Certification.--The Attorney General may certify an 
        alien under this paragraph if the Attorney General has 
        reasonable grounds to believe that the alien--
                    ``(A) is described in section 212(a)(3)(A)(i), 
                212(a)(3)(A)(iii), 212(a)(3)(B), 237(a)(4)(A)(i), 
                237(a)(4)(A)(iii), or 237(a)(4)(B); or
                    ``(B) is engaged in any other activity that 
                endangers the national security of the United States.
            ``(4) Nondelegation.--The Attorney General may delegate the 
        authority provided under paragraph (3) only to the Deputy 
        Attorney General. The Deputy Attorney General may not delegate 
        such authority.
            ``(5) Commencement of proceedings.--The 
        Attorney General shall place an alien detained under paragraph 
        (1) in removal proceedings, or shall charge the alien with a 
        criminal offense, not later than 7 days after the commencement 
        of such detention. If the requirement of the preceding sentence 
        is not satisfied, the Attorney General shall release the alien.
            ``(6) Limitation on indefinite detention.--An alien detained 
        solely under paragraph (1) who has not been removed under 
        section 241(a)(1)(A), and whose removal is unlikely in the 
        reasonably foreseeable future, may be detained for additional 
        periods of up to six months only if the release of the alien 
        will threaten the national security of the United States or the 
        safety of the community or any person.
            ``(7) Review of certification.--The Attorney General shall 
        review the certification made under paragraph (3) every 6 
        months. If the Attorney General determines, in the Attorney 
        General's discretion, that the certification should be revoked, 
        the alien may be released on such conditions as the Attorney 
        General deems appropriate, unless such release is otherwise 
        prohibited by law. The alien may request each 6 months in 
        writing that the Attorney General reconsider the certification 
        and may submit documents or other evidence in support of that 
        request.

    ``(b) Habeas Corpus and Judicial Review.--
            ``(1) In general.--Judicial review of any action or decision 
        relating to this section (including judicial review of the 
        merits of a determination made under subsection (a)(3) or 
        (a)(6)) is available exclusively in habeas corpus proceedings 
        consistent
        with this subsection. Except as provided in the preceding 
        sentence, no court shall have jurisdiction to review, by habeas 
        corpus petition or otherwise, any such action or decision.
            ``(2) Application.--
                    ``(A) In general.--Notwithstanding any other 
                provision of law, including section 2241(a) of title 28, 
                United States Code, habeas corpus proceedings described 
                in paragraph (1) may be initiated only by an application 
                filed with--
                          ``(i) the Supreme Court;
                          ``(ii) any justice of the Supreme Court;
                          ``(iii) any circuit judge of the United States 
                      Court of Appeals for the District of Columbia 
                      Circuit; or
                          ``(iv) any district court otherwise having 
                      jurisdiction to entertain it.
                    ``(B) Application transfer.--Section 2241(b) of 
                title 28, United States Code, shall apply to an 
                application for a writ of habeas corpus described in 
                subparagraph (A).
            ``(3) Appeals.--Notwithstanding any other provision of law, 
        including section 2253 of title 28, in habeas corpus proceedings 
        described in paragraph (1) before a circuit or district judge, 
        the final order shall be subject to review, on appeal, by the 
        United States Court of Appeals for the District of Columbia 
        Circuit. There shall be no right of appeal in such proceedings 
        to any other circuit court of appeals.
            ``(4) Rule of decision.--The law applied by the Supreme 
        Court and the United States Court of Appeals for the District of 
        Columbia Circuit shall be regarded as the rule of decision in 
        habeas corpus proceedings described in paragraph (1).

    ``(c) Statutory Construction.--The provisions of this section shall 
not be applicable to any other provision of this Act.''.
    (b) Clerical Amendment.--The table of contents of the Immigration 
and Nationality Act is amended by inserting after the item relating to 
section 236 the following:

``Sec. 236A. Mandatory detention of suspected terrorist; habeas corpus; 
           judicial review.''.

    (c) Reports.--Not later than 6 
months after the date of the enactment of this Act, and every 6 months 
thereafter, the Attorney General shall submit a report to the Committee 
on the Judiciary of the House of Representatives and the Committee on 
the Judiciary of the Senate, with respect to the reporting period, on--
            (1) the number of aliens certified under section 236A(a)(3) 
        of the Immigration and Nationality Act, as added by subsection 
        (a);
            (2) the grounds for such certifications;
            (3) the nationalities of the aliens so certified;
            (4) the length of the detention for each alien so certified; 
        and
            (5) the number of aliens so certified who--
                    (A) were granted any form of relief from removal;
                    (B) were removed;
                    (C) the Attorney General has determined are no 
                longer aliens who may be so certified; or
                    (D) were released from detention.

5. [↑] Idem Jonathan Hafetz, 2012, pages 16-18 ; Idem Anthony Gregory, 2013, page 200 (chapitre 12 : Enemy Aliens and Bush’s Prerogative).

6. [↑] Idem Jonathan Hafetz, 2012, page 29 ; Idem Anthony Gregory, 2013, page 206 (chapitre 12 : Enemy Aliens and Bush’s Prerogative).

7. [↑] Voir le texte de l’intervention de Johan Steyn (un des douze Law Lords (ou Lords of Appeal in Ordinary) de 1995 à 2005 devenu en 2009 la Cour suprême du Royaume Uni) lors de la 27e conférence F.-A.-Mann le 25 novembre 2003 : Guantanamo Bay : The legal black hole. Twenty-Seventh F.A. Mann Lecture: 25 November 2003 ; un extrait de son intervention a été publié dans le journal français Le Monde traduit de l’anglais par David Boyle : Le trou noir juridique de Guantanamo, par Johan Steyn, 9 décembre 2003.

 8. [↑] Voir l’arrêt sur le site de la Cornell University Law School, Legal Information Institute (LII).

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