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L’habeas corpus (II) : l’habeas corpus en Angleterre au 17ème siècle – l’affaire Darnell et la Pétition du Droit

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Dans le précédent article, j’ai retracé la naissance en Angleterre à la fin du 16ème siècle – début 17ème du writ (ordonnance) d’habeas corpus ad subjiciendum et recipiendum, procédure permettant aux juges de contrôler la légalité de la détention d’une personne [1].

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Le Roi Charles 1er (1600-1649), peinture de Gerrit van Honthorst, 1628, National Portrait Gallery

Les juges de la Cour du Banc du Roi (Court of King’s Bench) décident ainsi de faire évoluer au nom du Roi le writ d’habeas corpus qui n’avait vocation jusque là qu’à ordonner le tranfert de personnes d’un endroit à l’autre pour être jugées, entendues, etc.

La nouvelle procédure qu’ils créent est un instrument judiciaire particulièrement efficace de surveillance des autres administrations et juridictions. L’objectif initial des juges de la King’s Bench n’est pas de donner des droits aux prisonniers et de faire progresser les libertés individuelles, mais d’affirmer leur autorité. Toute désobéissance à un writ émis par la Cour est considérée comme une grave atteinte à une prérogative royale.

Une institution, le Privy Council (Conseil Privé du Roi), est dans un premier temps épargnée par le contrôle mis en place par la King’s Bench puis par d’autres juridictions comme la Court of Common Pleas (la Cour des Plaids Communs). Le Conseil tire en effet son autorité de la mếme source que la King’s Bench : la prérogative royale. A travers lui s’exprime la volonté du Roi. Il est dès lors admis qu’il n’a pas à rendre des comptes et notamment à justifier les emprisonnements qu’il est amené à ordonner. En outre, les présidents de la King’s Bench, John Popham (1603-1607), Thomas Fleming (1607-1613) et Edward Coke (1613-1616) sont eux-même membres du Privy Council [2].

En 1627, une affaire (Darnell’s Case ou Five knights’ Case) ayant un fort retentissement a pour conséquence de remettre en cause l’autorité absolue du Privy Council et celle du Roi.

Le Darnell’s Case ou Five knights’ Case (1627)

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Le juriste John Selden, artiste inconnu, National Portrait Gallery

En 1626, Le Roi Charles 1er a un besoin impérieux de fonds pour financer la guerre qu’il mène contre l’Espagne. Avant le vote de nouveaux subsides pour la guerre, il décide de dissoudre le Parlement qui a entamé une procédure de destitution à l’encontre de son ami et conseiller, George Villiers, l’impopulaire Duc de Buckingham afin de protéger ce dernier.

Charles Ier décide alors de recourir notamment à l’«emprunt forcé» (Forced loan) [3]. Cet emprunt, rarement remboursé, est une sorte d’impôt décidé sans l’approbation du Parlement. Les récalcitrants qui refusent de payer s’attirent les foudres du Roi. Plus de 70 hommes sont arrêtés et emprisonnés.

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Le procureur général (puis juge) Robert Heath, par Wenceslaus Hollar, 1664, National Portrait Gallery

Cinq chevaliers, Thomas Darnell, John Corbet, Walter Earle, John Heveningham et Edmund Hampden présentent une requête en habeas corpus devant la King’s Bench pour obtenir leur remise en liberté.

La réponse transmise («return») par le Privy Council à la King’s Bench est laconique : emprisonnement sur ordre spécial de sa majesté («by his majesty’s special commandment»). Le Roi et le Privy Council se gardent bien de donner le motif de l’emprisonnement. L’ordre d’emprisonnement ne mentionne pas de charges particulières retenues à l’encontre des cinq hommes.

Les conseils des chevaliers, dont l’éminent juriste John Selden, fondent leur argumentation sur la violation de la Magna Carta et des lois fondamentales du Royaume, évoquant l’illégalité de l’emprunt forcé et l’arrestation sans cause de leurs clients [4].

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Le juge Nicholas Hyde, Artiste inconnu, National Portrait Gallery

Le Procureur général (Attorney General) Robert Heath défend la position de la Couronne et la nécessité pour le Roi et le Privy Council de pouvoir emprisonner des sujets sur simple ordre du Roi. Il dément que les prisonniers seront en cas de rejet de la Cour soumis à un emprisonnement perpétuel exposant qu’il appartient aux plaignants de se tourner vers le Roi pour obtenir une libération et non vers la Cour [5].

De manière cohérente avec leur jurisprudence antérieure, les juges, dont le pouvoir découle directement du Roi, valident l’incarcération des chevaliers. Le Président de la King’s Bench, Nicholas Hyde, relève que si aucune cause à la détention n’est spécifiée, on peut présumer que celle-ci a pour origine la raison d’Etat [6].

La Pétition du Droit (Petition of Right) de 1628

En 1628, le Roi n’a d’autre choix que de convoquer à nouveau le Parlement. Il fait un geste en ordonnant le 8 janvier 1628, trois mois avant le début de la session parlementaire, la remise en liberté de tous ceux qui avaient refusé de payer l’emprunt forcé [7]. Néanmoins, 27 des prisonniers libérés se feront élire à la chambre des communes pour poursuivre leur combat au Parlement [8].

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after John Payne, line engraving, 1670

L’affaire des Five knights accroît les divisions au sein du Parlement ainsi que la suspicion à l’égard du Roi et de ses proches conseillers. Elle suscite d’importants débats concernant les éventuelles limites à apporter aux prérogatives royales. Le Roi Charles 1er est-il allé au-delà de son pouvoir en emprisonnant les cinq chevaliers ?

Edward Coke, ancien président de la King’s Bench, élu à la Chambre des Communes, émet l’idée d’une Pétition commune à la Chambre des Lords  et la Chambres des Communes qui serait adressée au Roi et lui rappellerait les droits et libertés de ses sujets [9]. Un comité présidé par Coke se charge de la rédaction du document. John Selden, avocat d’un des cinq chevaliers et également membre de la Chambre des Communes, est partie prenante. Les deux Chambres s’accordent sur un texte qui est adressé au Roi fin mai 1628. Celui-ci l’interprétant comme une simple déclaration sans force légale finit par l’accepter le 2 juin 1628.

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Manuscrit de la Pétition du Droit, 1628, Chambre de Communes, Westminster, Parliamentary Archives, Londres

Dans la Pétition, le Parlement rappelle en premier lieu l’interdiction de toute levée d’impôt sans le consentement du Parlement, en donnant l’exemple des emprunts forcés ou des «contributions volontaires» (benevolence). Se référant à la Magna Carta, il réaffirme l’interdiction de toute arrestation, détention et atteinte aux biens et aux droits d’hommes libres sans un jugement légal de pairs ou dans le cadre des lois du pays. Il insiste également sur la nécessité de pouvoir se faire entendre en bonne et due forme, conformément à la loi. Les Parlementaires évoquent a contrario le sort qui a été celui des cinq chevaliers. Il souligne enfin l’interdiction de l’usage de la loi martiale en temps de paix et l’hébergement sans accord des soldats chez l’habitant [10].

Après l’affaire Darnell, les ordres d’emprisonnement émanant du Privy Council comme des autres juridictions font l’objet d’un contrôle de la King’s Bench. Mais de la fin des années 1620 jusqu’aux années 1660, l’action de la King’s Bench est de plus en plus remise en cause par une institution qu’on n’attendait pas : le Parlement [11].

à suivre…


1. [↑] Voir l’article Aux origines de l’Habeas Corpus en Angleterre.

2. [↑] Voir l’ouvrage Habeas Corpus – From England to Empire de Paul D. Halliday, 2012, page 26.

3. [↑] Egalement appelé l’emprunt des cinq subsides : the Loan of Five Subsidies.

4. [↑] idem, Halliday, page 138.

5. [↑] A complete collection of state-trials, and proceedings for high-treason, and other crimes and misdemeanours; from the reign of King Edward VI To the Present Time. Volume 7, page 136 : Robert Heath : «And therefore I pray your Lordship, that these Gentlemen may be remitted, and left to go the right way for their delivery, which is by a Petition to the King. Whether it be a Petition of right or of grace, I know nor ; it must be I am sure to the King, from whom I do personally understand that these GentJemen did never yet present any Petition to him that came to his knowledge.» ; également l’article Tyranny Denied: Charles I, Attorney General Heath, and the Five Knights’ Case de Mark Kishlansky, The Historical Journal, volume 42, numéro 1 (1999), pages 53-83

6. [↑] Voir l’article Habeas Corpus and « Liberty of the Subject »: Legal Arguments for the Petition of Right in the Parliament of 1628, Linda S. Popofsky, The Historian, volume 41, numéro 2 (1979), pages 257-275 : Lord Chief Justice Nicholas Hyde : «if no cause of the commitment be expressed, it is to be presumed to be for matters of state, which we cannot take notice of

7. [↑] Voir l’ouvrage Historical Dictionary of Stuart England, 1603-1689, de Ronald H. Fritze et William B. Robison, 1996, page 196.

8. [↑] idem, Ronald H. Fritze et William B. Robison, page 196.

9. [↑] Paul D. Halliday relate de manière intéressante dans son ouvrage Habeas Corpus – From England to Empire que lorsqu’en 1615, Edward Coke est président de la King’s Bench, il ne défend absolument pas la même position et estime au contraire qu’un prisonnier détenu sur ordre du Conseil Privé n’est pas libérable sous caution compte tenu du lien existant entre le Roi et son Conseil : a prisoner «commited by the Council is not bailable… because the Council is incorporated in the king», page 159.

10. [↑] Version anglaise de la Petition of Right sur le site Constitution Society. Pour une traduction en français de la Petition of Right : site canadien Constitution du Royaume-Uni : des origines à nos jours : http://www.constitution-du-royaume-uni.org/resources/P%C3%A9tition%20de%20droit%20de%201628.pdf ou le site de la Digithèque de matériaux juridiques et politiques de l’Université de Perpignan : http://mjp.univ-perp.fr/constit/uk1628.htm.

11. [↑] idem, Halliday, page 26.

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