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L’origine et le développement des systèmes de Common law et d’equity (III)

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Ainsi que je l’indiquais dans l’article précédent, les premiers Chanceliers sont d’éminents membres du clergé ayant reçu la meilleure éducation. Ils rendent la justice selon leur conscience et les principes moraux de l’équité. Leur appréciation des cas est très personnelle. Il n’existe pas de règles de droit fixes. Pour reprendre un aphorisme d’un juriste anglais du 17ème siècle, John Selden dans son ouvrage Table-Talk, l’equity varie selon la longueur du pied du Chancelier [1].

Les maximes de l’equity

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Maxims of Equity de Richard Francis, 1728

Suite à la Réforme anglaise (scission avec l’église de Rome sous Henry VIII) au 16ème siècle, les chanceliers laïcs qui remplacent les ecclésiastiques sont des hommes formés au droit. Progressivement, les décisions successives rendues par les juges de l’equity font émerger à la fin du 17ème et au début 18ème siècle des principes généraux énoncés dans des maximes.

Richard Francis dégage et détaille en 1728 dans un ouvrage intitulé «Maxims of Equity» quatorze maximes comme «Equality is Equity» (l’égalité fait l’équité). Chaque maxime est illustrée par des exemples tirés de plusieurs affaires. Les maximes résument les principes généraux dégagés par la jurisprudence des juridictions d’equity. Elles sont exprimées en latin puis traduites en anglais.

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La Cour de la Chancellerie, illustration dans l’ouvrage Microcosm of London, 1808-1810, de Thomas Rowlandson et Augustus Pugin, British Library

Dans un ouvrage publié en 1868, The Principles of Equity, Edmund Snell dénombre pour sa part onze maximes. L’américain Joseph Story dans ses Commentaries on Equity Jurisprudence en retient uniquement cinq.

Lord Nottingham (1673-1682) [2] et Lord Hardwicke (1737-1756), puis Lord Eldon, (1801-1806 puis 1807-1827) participent à l’uniformisation et la rationalisation des règles de l’equity et notamment celles relatives au droit des «trusts» .

Les maximes ne constituent pas des règles strictes et intangibles. Elles sont simplement des principes auxquels se réfèrent de manière classique les juges statuant in equity. Les principales maximes [3] sont les suivantes :

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Le Hall du Palais de Westminster où siège la Cour de la Chancellerie du règne d’Edward III jusqu’à sa dissolution en 1875, illustration de Thomas Rowlandson et Augustus Pugin, Microcosm of London (1808-1810), British Library
  • Equity follow the law (l’equity suit le droit) c’est-à-dire que l’equity doit respecter le droit. Elle ne remet pas en cause les règles de common law. Elle a uniquement vocation à les compléter lorsqu’elles présentent des lacunes.
  • Equity acts in personam (l’equity agit sur les personnes). A l’origine, l’equity s’adressait uniquement aux personnes. Des injonctions étaient prononcées à l’encontre de certaines parties et en cas de non respect la sanction pouvait être l’emprisonnement. Ce principe a aujourd’hui perdu de son importance. Des décisions in equity peuvent désormais viser directement la propriété d’une partie (et donc des biens).
  • He who seeks equity must do equity (celui qui recherche l’equity doit agir avec équité). Une partie qui sollicite réparation doit s’être comportée de manière équitable envers l’autre (par exemple avoir respecté de manière loyale le contrat qui les lie).
  • He who comes to equity must come with clean hands (celui qui invoque l’equity doit avoir les «mains propres») c’est-à-dire être lui-même sans reproche. Il ne doit notamment pas avoir une responsabilité dans la survenance du dommage.
  • Equity will not suffer a wrong to be without a remedy (l’equity ne laissera pas un dommage sans réparation) : elle va chercher une solution intégrale au problème posé.
  • Equity looks at the intent rather than the form (l’equity regarde l’intention avant la forme) : l’equity s’intéresse avant tout au fond, à l’intention des parties plutôt qu’à la forme. Il peut être donc équitable de valider un accord quand bien même les règles de formes n’auraient pas été respectées.
  • Equity aids the vigilant and not the indolent (l’equity aide ceux qui font preuve de diligence, pas les personnes négligentes). En vertu de la doctrine du laches (manque de diligence), le plaignant ne peut faire appel à l’equity s’il tarde trop à faire valoir ses droits au point qu’on peut estimer qu’il avait renoncé à ses droits (notion de retard injustifié).

Le déclin de la Cour de la Chancellerie [4]

La Cour de la Chancellerie souffre au 19ème siècle de plusieurs maux. C’est une institution réputée pour sa lenteur, son coût, son inefficacité, et rongée par la corruption. Différentes réformes sont entreprises notamment dans les années 1830 et 1850.
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Bleak House de Charles Dickens

Dans son neuvième roman «La maison d’Âpre-Vent» (en version originale «Bleak House») publié sous forme de feuilletons entre 1852 et 1853, Charles Dickens dénonce la lenteur extrême de la Cour de la Chancellerie (située à Londres) ainsi que les frais de justice colossaux nécessaires dans le cadre d’un procès.

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Dernière adaptation TV de Bleak House par la BBC

L’histoire a pour toile de fond un procès interminable, «Jarndyce contre Jarndyce» («Jarndyce v. Jarndyce»), un litige autour d’une succession suite au décès d’un certain John Jarndyce. L’ensemble des personnages sont impliqués de près ou de loin par cette affaire dont l’enjeu est un héritage très important.

L’auteur puise son inspiration dans son expérience personnelle passée en qualité de clerc ainsi que dans le procès qu’il a intenté contre un éditeur indélicat, Lee and Haddock, qui publie sans autorisation son roman le Conte de noël début 1844.

Ce classique a été adapté au théatre, au cinéma et à la télévision. La troisième adaptation TV de la BBC de 2005 dépeint une atmosphère très sombre emplie de mystères.

La fusion entre les systèmes de common law et d’equity

Les différences qui existaient entre les juridictions de common law et d’equity tendent petit à petit à s’atténuer. Les cours d’equity appliquent désormais la règle du précédent. Le common law de son côté subit l’influence de l’equity et s’assouplit. Le droit commercial est incorporé à compter du 17ème siècle au common law sous l’action d’Edward Coke, puis au 18ème de William Murray (Comte de Mansfield). La procédure de common law est simplifiée [5]. L’ancien système des writs disparaît en 1832 au profit d’un writ unique.

Les systèmes d’equity et de common law fusionnent en Angleterre et au pays de Galles avec les lois judiciaires (Judicature Acts) de 1873-1875. La Cour de la Chancellerie cesse d’exister. Désormais, toutes les juridictions peuvent statuer à la fois selon les règles de common law et celles d’equity. En cas de conflit, les règles d’equity continuent de prévaloir.

Le droit américain hérite non seulement du common law mais aussi la tradition de l’equity. La fusion du common law et de l’equity intervient aux Etats-Unis en 1938 après l’adoption des Federal Rules of Civil Procedure (règles fédérales de procédures civiles), qui sont reprises en grande partie par la plupart des Etats. Trois Etats ont conservé les juridictions d’equity (Delaware, Mississippi et Tennessee).


1. [↑] Voir l’ouvrage «Table Talk: Being the Discourses of John Selden, Esq… Relating Especially to Religion and State» de John Selden (1584-1654) publié à titre posthume en 1689 : «Equity is a roguish thing: for law we have a measure, know what to trust to; equity is according to the conscience of him that is Chancellor, and as that is larger or narrower, so is equity. ‘Tis all one as if they should make the standard for the measure we call a foot, a Chancellor’s foot; what an uncertain measure would this be? One Chancellor has a long foot, another a short foot, a third an indifferent foot: ’tis the same thing in a Chancellor’s conscience».

2. [↑] Voir l’ouvrage «The Principles of Equity and Trusts» de Graham Virgo, 2012, pp. 7.

3. [↑]  Voir l’ouvrage «Maxims of Equity: A Juridical Critique of the Ethics of Chancery Law», de Michael Levenstein, 2014, pp. 95 ; l’article «La notion d’equity en droit anglais contemporain» L. de L. A. Sheridan, dans Les Cahiers de droit, volume 10, n° 2, 1969, p. 327-340.

4. [↑] Voir l’article «The Decadence of Equity de Roscoe Pound», dans la Columbia Law Review, Volume 5, numéro 1, 1905, pp. 20-35.

5. [↑]  Voir «Equity in its relations to common law : a study in legal development», de  Billson, William Weldon, publié en 1917 ; «Commercial Law» de Eric Baskind, Greg Osborne, Lee Roach, 2016, pp. 8.

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