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City of Vice : les frères Fielding et la création des Bow Street Runners

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Série City of Vice produite par Channel4

City of Vice (la ville du vice) est une série policière anglaise en cinq épisodes diffusée en 2008 sur Channel4 [1], qui apporte un éclairage sur certaines particularités du système judiciaire anglais et me permet par la même occasion quelques clins d’oeils avec les articles précédents. Basée sur des faits réels, elle relate la naissance des Bow Street Runners, la première force de police professionnelle anglaise. Les héros de cette série sont deux magistrates (juges de paix) anglais : Henry Fielding (joué par Ian McDiarmid), également connu comme écrivain [2], et John Fielding (Iain Glen), son demi-frère devenu aveugle suite à un accident survenu en mer à l’âge de 19 ans.

L’histoire se déroule à Londres au milieu du 18ème siècle. La ville est alors en proie à une forte criminalité. La consommation d’alcool, essentiellement le gin, fait des ravages parmi les pauvres. Les poursuites pénales sont de la responsabilité des personnes privées, en général les victimes. La mise en place d’un ministère public avec la création du Crown Prosecution Service intervient, comme on l’a vu dans l’article précédent, très tardivement en Angleterre et au pays de Galle (en 1986) [3].

De 1674 à 1829, l’application de la loi et le maintien de l’ordre sont assurés par les citoyens avec l’aide des constables paroissiaux (parish constables), des veilleurs de nuit (night watchmen), de détectives (thief takers) et des juges de paix (magistrates ou justices of peace). Les citoyens ont l’obligation légale d’appréhender les auteurs lorsqu’ils assistent à la commission d’une infraction ou d’informer le constable ou le juge de paix s’ils en ont connaissance. Ils peuvent également être sommés par le constable d’intervenir pour arrêter des suspects («Hue and cry»). Mener des investigations, arrêter puis engager des poursuites à l’encontre des criminels a un coût qui décourage souvent les victimes. L’assistance du constable se fait régulièrement contre rétribution.

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Gin Lane (la rue du Gin), gravure de William Hogarth dans « Beer Street and Gin Lane« , 1751

Dans chaque paroisse, un ou deux constables sont désignés parmi les propriétaires pour une durée d’une année. Leur rôle est d’appréhender les suspects d’infractions et de les présenter devant le juge de paix. Ils exercent à titre bénévole et à temps partiel.

Les night watchmen sont des citoyens ordinaires chargés d’effectuer bénévolement des rondes de nuit à compter de 21h-22h00 jusqu’au lever du soleil. Munis d’un bâton, ils surveillent les alentours des habitations et peuvent intervenir et arrêter un suspect. Encadrés par le constable, ils sont également désignés pour une année. Les citoyens aisés parviennent en général à échapper à ces obligations (la charge de constable ou night watchmen) en rémunérant un deputy pour exercer cette fonction à leur place. Cette pratique est institutionnalisée à la fin du 17ème siècle dans certains quartiers de Londres.

Les thief takers sont des hommes qui vivent des récompenses offertes pour localiser et procéder à l’arrestation de suspects ou rémunérés directement par des victimes ou leur entourage pour retrouver des auteurs d’infractions.

L’absence de rétribution ou le mode de rétributions (récompenses) favorisent la corruption et les liens avec la criminalité (pots de vin). A l’époque georgienne, les night watchmen, les constables et les thiefs takers sont souvent corrompus.

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Le bureau de Fielding et la magistrates’ court située 4 rue Bow Street à Londres

En 1748, Henry Fielding  accepte le poste de magistrate de Westminster (puis également du Middlesex). Il est assisté dans ses fonctions par son frère John. Pour remédier à la criminalité (vols à la tire, prostitution, mendicité, jeux d’argent, gangs) de la City (Londres), ils décident de créer une unité de police professionnelle chargée de mener des investigations et de procéder si nécessaire à des arrestations.

Le premier groupe est formé de six ex-constables. Leur mission n’est pas très éloignée de celle des thief takers à la différence qu’ils sont directement rattachés à un juge de paix, Henry Fielding. Ils opèrent depuis le bureau des frères Fielding, situé comme le tribunal au 4 rue Bow Street (près de Covent Garden). Contrairement aux constables, ils sont autorisés à enquêter sur l’ensemble du territoire anglais. On les surnomme les «Mr Fielding’s men» (les hommes de Fielding) ou les Bow Street Runners (les coureurs de Bow Street).

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An inquiry into the causes of the late Increase of Robbers, Etc, par Henry Fielding, 1751

Chaque épisode de la série City of Vice relate une enquête dirigée par Henry Fielding : une tentative de meurtre d’une prostituée, le meurtre d’un prêtre homosexuel, un cambriolage, une guerre de gangs d’immigrants irlandais, un réseau de prostitution de fillettes. La description des bas-fonds de Londres est sans complaisance et l’atmosphère est sombre.

On découvre au fil des épisodes les stratégies d’Henry et John Fielding pour tenter d’obtenir le soutien d’hommes politiques et le financement de leur unité d’enquêteurs professionnels par le parlement. Est évoqué dans le générique l’essai rédigé par Henry Fielding en 1751 sur la montée de la criminalité et les remèdes pour y répondre (An inquiry into the causes of the late Increase of Robbers, Etc).

On perçoit deux frères, bien qu’unis par leur lutte contre le crime, aux tempérament différents. Henry est jovial et visiblement peu conventionnel (n’ayant pas hésité, au mépris des critiques, à épouser la femme de chambre de son ancienne épouse décédée, enceinte de six mois). John paraît réservé, plus sérieux. On le dit capable de reconnaître 3000 délinquants uniquement par leur voix.

Ce que la série ne dit pas : en juin 1754, Henry, malade, quitte l’Angleterre pour le Portugal. Il décède deux mois après son arrivée à Lisbonne. John (surnommé le «Blind Beak of Bow Street» [4]) prend la suite de celui-ci à la tête du tribunal de Bow Street jusqu’à son décès en 1780.

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John Fielding, par Nathaniel Hone, 1762, National Portrait Gallery

Il poursuit les réformes entamées par son frère :

  • l’obtention de subventions plus importantes pour développer l’unité de police urbaine et sa reconnaissance par le gouvernement,
  • la centralisation et la circulation de l’information : mise en place de registres afin de répertorier les crimes commis, les criminels connus et les objets volés, incitation des citoyens à informer les Bow Street Runners des infractions les plus sérieuses ou publication dans des journaux des objets volés et des criminels recherchés,
  • la création en 1763 d’une patrouille à cheval dont la mission est d’apréhender les bandits de grands chemin.

John Fielding est aussi le héros d’une série de romans policiers historiques de l’écrivain anglais Bruce Alexander (premier de la série : Blind Justice, 1995, édition française : Les audiences de Sir John, 1999). Le juge de paix aveugle enquête sur différentes affaires assisté d’un jeune orphelin de 13 ans, Jeremy Proctor.

Les frères Fielding ont certainement eu une influence sur la mise en place sous l’impulsion de Sir Robert Peel d’une véritable force de police professionnelle en 1829 (Metropolitan Police service).


1. [↑] site imdb.com.

2. [↑] Il est l’auteur de comédies (notamment The life and death of Tom Thumb the Great/la Tragédie de Tom Pouce le Grand, 1730) et de romans. Son oeuvre la plus connue est The History of Tom Jones, a Foundling paru en 1749 (Histoire de Tom Jones, enfant trouvé).

3. [↑] Voir l’article sur le ministère public en Angleterre et au pays de Galles : Les gens de justice anglais (III). Le Prosecution of Offences Act 1985 n’a pas supprimé le droit pour les personnes privées (individus ou entreprises) d’engager des poursuites pénales. Cependant, il a été en partie restreint. Le Director of Public Prosecutions a le pouvoir de reprendre les poursuites. Il est en outre, dans certains cas, nécessaire d’obtenir l’autorisation de l’Attorney General ou du Director of Public Prosecutions avant de pouvoir engager des poursuites.

4. [↑] «Beak» est un mot d’argot au 18ème désignant tout représentant de l’autorité.

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