Le mouvement de réforme des législations anti-avortement engagé à partir de 1966 dans différents Etats s’interrompt brusquement après 1970, en dépit d’une opinion publique favorable [1]. La bataille se déplace alors sur le terrain judiciaire avec en ligne de mire un débat constitutionnel sur le droit des femmes à l’avortement [2].
En 1968, un étudiant en droit à l’Université de New-York, Roy Lucas, publie un article remarqué parmi les militants pro-avortement [3]. Il inclut le droit à l’avortement dans le droit à la protection de la vie privée et à l’autonomie reconnu par la Cour suprême des Etats-Unis en 1965 dans l’arrêt Griswold v. Connecticut. Roy Lucas préconise d’invoquer la violation de ce droit garanti par le quatorzième amendement de la constitution pour faire reconnaître le droit à l’avortement [4]. En 1969, la Cour Suprême de l’Etat de Californie se fonde en partie sur cette analyse lorsqu’elle annule, dans l’arrêt People v. Belous [5], la nouvelle législation anti-avortement adoptée par l’Etat peu de temps auparavant [6].
Dans ce contexte, l’affaire Roe v. Wade est la première affaire arrivant devant le Cour Suprême des Etats-Unis contestant la constitutionnalité d’une législation anti-avortement datant du siècle précédent [7].
La genèse de l’affaire Roe v. Wade
Sarah Weddington est une jeune avocate diplômée de l’Université de droit du Texas à Austin lorsqu’elle se saisit de l’affaire, désormais appelée Roe v. Wade [8].
Fille d’un pasteur méthodiste, Sarah Weddington n’est pas impliquée dans la vie politique du Campus pendant ses études [9]. Elle tombe enceinte en dernière année en 1967 et se rend au Mexique avec son petit ami (et futur mari) pour se faire avorter en secret dans une clinique [10].
Après l’obtention de son diplôme en août 1967, n’ayant trouvé aucun emploi dans un cabinet d’avocats, elle commence à travailler à mi-temps à l’université de droit d’Austin [11]. Elle sympathise alors avec un groupe d’étudiantes féministes de l’université du Texas (Austin) gravitant autour d’un journal amateur, qui décident à l’automne 1969 de créer un centre de consultation et une permanence téléphonique pour informer les femmes en matière de contraception [12]. Les jeunes femmes s’interrogent sur les risques encourus pour orienter des étudiantes vers des médecins pratiquant l’avortement [13].
Des membres actives dont Judy Smith (étudiante en biologie moléculaire) et Beatrice Vogel demandent à Sarah Weddington d’examiner la possibilité de renverser la loi anti-avortement du Texas en vigueur depuis 1854, qui interdit tout avortement sauf pour sauver la vie d’une femme enceinte [14].
Sarah Weddington sollicite le concours d’une amie avocate, Linda Coffee, qui était à l’université de droit avec elle [15]. Après avoir occupé un poste d’assistante auprès de la juge fédérale Sarah T. Hughes, Linda Coffee travaille à Dallas dans un cabinet spécialisé en matière de faillite et d’insolvabilité [16]. Elle se montre d’emblée enthousiaste par le projet de recours [17].
Linda Coffee commence à rechercher des plaignantes potentielles pour pouvoir engager l’action en justice et notamment une femme faisant face à une grossesse non désirée [18]. Elle est mise en relation par un ami avec Norma McCorvey, une jeune femme de 21 ans en plein désarroi, enceinte de son troisième enfant (aucun des deux premiers n’est à sa charge) [19]. Norma McCorvey correspond aux critères des deux avocates. Elle a eu des difficultés avec ses précédentes grossesses et ne souhaite plus avoir d’enfant. Les avocates lui expliquent que le procès ne lui coûtera rien et qu’elle pourra garder l’anonymat [20]. Elle aura un pseudonyme et s’appellera «Jane Roe».
Sarah Weddington et Linda Coffee introduisent le recours le 3 mars 1970 contre Henry Wade, procureur de Dallas, représentant l’Etat du Texas [21]. Il prend la forme d’une action de groupe (class action) au nom de toutes les femmes du Texas enceintes ou susceptibles de l’être et voulant avoir le choix de pouvoir recourir à un avortement [22]. Un couple marié, Marsha et David King (sous les pseudonymes «John et Mary Doe»), se joint à la procédure. Ils expliquent ne pas souhaiter, à ce stade, avoir d’enfants pour des raisons à la fois médicales et personnelles [23]. Le docteur James H. Hallford, poursuivi en justice pour avoir pratiqué des avortements, est autorisé à intervenir à l’instance [24].
à suivre..
1. [↑] Voir le chapitre “The Unfinished Story of Roe v. Wade” de l’ouvrage à paraître en 2019 “Reproductive Rights and Justice Stories” : Melissa Murray, Kate Shaw et Reva Siegel eds, page 9.
2. [↑] Idem Melissa Murray, Kate Shaw et Reva Siegel eds, page 9.
3. [↑] Idem Melissa Murray, Kate Shaw et Reva Siegel eds, page 10 ; voir l’article de Roy Luca : Federal Constitutional Limitations on the Enforcement and Administration of State Abortion Statutes, publié dans North Carolina Law Review, volume 46, numéro 4, 1968.
4. [↑] Idem Melissa Murray, Kate Shaw et Reva Siegel eds, page 10.
5. [↑] Voir l’arrêt People v. Belous (1 Cal.2d 954) du 5 septembre 1969 de la Cour Suprême de l’Etat de Californie sur le site https://scocal.stanford.edu/ qui cite l’article de Roy Lucas (Federal Constitutional Limitations on the Enforcement and Administration of State Abortion Statutes, publié dans North Carolina Law Review, volume 46, numéro 4, 1968).
6. [↑] Idem Melissa Murray, Kate Shaw et Reva Siegel eds, page 10.
7. [↑] Idem Melissa Murray, Kate Shaw et Reva Siegel eds, page 2.
8. [↑] Voir l’interview de Sarah Weddington dans The Guardian réalisé par Rachel Cooke, « Sarah Weddington, Roe v Wade attorney, on Trump’s threat to abortion rights« , 12 mars 2017 ; l’article « She Put the v in Roe v. Wade« , de David J. Garrow, dans The New York Times, 27 septembre 1992 ; la biographie de Sarah Weddington sur le http://www.weddingtoncenter.com ;
9. [↑] Voir le chapitre 7 « Into the Courts: Roe, Doe, and the Right to Abortion, 1969-1971 » dans l’ouvrage Liberty and Sexuality: The Right to Privacy and the Making of Roe v. Wade, de David J. Garrow, 1998.
10. [↑] Idem David J. Garrow, dans The New York Times, 27 septembre 1992 ; idem David J. Garrow, 1998.
11. [↑] Idem David J. Garrow, dans The New York Times, 27 septembre 1992 ; idem David J. Garrow, 1998.
12. [↑] Idem David J. Garrow, dans The New York Times, 27 septembre 1992 ; idem David J. Garrow, 1998 ; Idem Melissa Murray, Kate Shaw et Reva Siegel eds, page 13.
13. [↑] Idem David J. Garrow, dans The New York Times, 27 septembre 1992 ; idem David J. Garrow, 1998 ; Idem Melissa Murray, Kate Shaw et Reva Siegel eds, page 13.
14. [↑] Idem David J. Garrow, dans The New York Times, 27 septembre 1992 ; idem David J. Garrow, 1998 ; Idem Melissa Murray, Kate Shaw et Reva Siegel eds, page 13.
15. [↑] Idem David J. Garrow, dans The New York Times, 27 septembre 1992 ; idem David J. Garrow, 1998 ; Idem Melissa Murray, Kate Shaw et Reva Siegel eds, page 13.
16. [↑] Idem David J. Garrow, dans The New York Times, 27 septembre 1992 ; idem David J. Garrow, 1998 ; Idem Melissa Murray, Kate Shaw et Reva Siegel eds, page 13.
17. [↑] Idem David J. Garrow, 1998 ; voir l’article Exclusive : Roe v. Wade’s secret heroine tells her story, de Joshua Prager, Vanity Fair, 19 janvier 2017.
18. [↑] Idem David J. Garrow, 1998 ; idem Joshua Prager, Vanity Fair, 19 janvier 2017.
19. [↑] Voir l’ouvrage Before Roe v. Wade : Voices That Shaped the Abortion Debate Before the Supreme Court’s Ruling, de dem David J. Garrow, 1998 ; idem Melissa Murray, Kate Shaw et Reva Siegel eds, page 14.
20. [↑] Idem David J. Garrow, 1998 ; idem Melissa Murray, Kate Shaw et Reva Siegel eds, page 14.
21. [↑] Idem Idem David J. Garrow, 1998, page 406.
22. [↑] Les deux avocates convertissent les plaintes individuelles initiales en une action de groupe (class action) : Idem Joshua Prager, Vanity Fair, 19 janvier 2017 ; idem Melissa Murray, Kate Shaw et Reva Siegel eds, page 14, note bas de page n°101.
23. [↑] Idem dem David J. Garrow, 1998 ; idem Melissa Murray, Kate Shaw et Reva Siegel eds, page 14.
24. [↑] Idem David J. Garrow, 1998 ; idem Melissa Murray, Kate Shaw et Reva Siegel eds, page 14.