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Les droits des femmes en Angleterre au 19ème siècle : la lutte pour les droits au sein de la sphère privée (I)

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Au début du 19ème siècle, le droit anglais ignore largement les femmes qui sont placées toute leur vie sous l’autorité des hommes. S’appuyant sur le postulat que les hommes et les femmes sont naturellement profondément différents, il justifie que des rôles distincts soient impartis à chacun. La femme est cantonnée à la sphère familiale dans un rôle de fille, de mère ou d’épouse. Elle a avant tout vocation à se sacrifier pour le bonheur de son mari et de ses enfants. Elle est considérée comme le parfait complément de l’homme par nature agressif, dominateur et enclin à la compétition.

Triptique du peintre anglais George Elgar Hicks « Woman’s Mission » (la mission de la femme), 1862–1863, dans l’ordre de gauche à droite : Woman’s Mission: Guide of Childhood (Dunedin Public Art Gallery, New Zealand), Woman’s Mission: Companion of Manhood (Tate Gallery, London), Woman’s Mission: Comfort of Old Age (Tate Gallery, London)

Au cours du 19ème siècle, les droits des femmes connaissent une progression lente et non linéaire. Le féminisme commence à s’organiser à partir des années 1850 dans une société anglaise en proie à une industrialisation rapide avec des femmes issues majoritairement de la classe moyenne de Londres et Manchester [1]. Il connaît des déconvenues, notamment en 1857 avec l’échec de la revendication du droit de propriété pour les femmes mariées ou celui du droit de vote en 1867. Le mouvement féministe n’est enfin pas un mouvement unitaire. Les femmes qui y prennent part ont des opinions diverses sur l’égalité homme-femme, et n’ont pas les mêmes tendances politiques ou religieuses [2].

L’origine du féminisme politique

Le traité A Vindication of the Rights of Women (Défense des droits de la femme) de Mary Wollstonecraft (1759-1797), publié en 1792 est, selon l’historienne Barbara Caine, spécialiste du féminisme britannique, le texte fondateur du féminisme anglo-américain.

Mary Wollstonecraft, par John Opie, 1797, National Portrait Gallery, London

Dans ce manifeste, la femme de lettres, un temps enseignante, s’intéresse à la question du statut inférieur de la femme au sein de la société. Elle dénonce l’oppression des femmes en matière d’éducation, au niveau du mariage, de la maternité et du travail. Elle insiste sur la nécessité que les femmes puissent accéder à l’éducation qu’elle préconise mixte. Tout en valorisant le rôle des mères chargées d’assurer l’éducation des enfants, elle pointe que la maternité est la seule profession ouverte aux femmes. Selon elle, les femmes doivent pouvoir gagner leur vie. Elle meurt en 1797 à l’âge de 38 ans après avoir donné naissance à sa seconde fille Mary (connue plus tard sous le nom de Mary Shelley, auteur du livre Frankenstein, 1818) [3].

Les féministes du 19ème siècle ne retiennent de Mary Wollstonecraft que sa vie privée tumultueuse. Bien qu’influencées par ses ouvrages, elles ne se revendiquent pas, par souci de respectabilité, des mêmes idées qu’elle. L’oeuvre de Mary Wollstonecraft ne sera pas reconnue avant le début du 20ème siècle [4].

Les droits des femmes dans la sphère privée

  • La doctrine de la «coverture»

Selon le droit anglais, une femme en se mariant perdait sa personnalité juridique qui devenait englobée dans celle de son époux. C’est ce qu’on appelait la doctrine de la coverture (ou couverture). Le couple marié était considéré juridiquement comme une entité indivisible. L’épouse avait alors un statut de «feme covert». Le juriste William Blackstone (1723-1780) explique au 18ème siècle dans son ouvrage Commentaries on the Laws of England (Commentaires sur les Lois Anglaises) que «l’être ou la personne légale de la femme est suspendue durant le mariage, du moins est confondu avec celui du mari, sous la protection duquel elle se trouve» [5].

Elizabeth Sarah Norton, tableau « Maria-Louisa Phipps (née Campbell), Samuel Rogers, Caroline Elizabeth Sarah Norton » de Frank Stone, 1845, National Portrait Gallery, London

Une épouse ne pouvait posséder des biens en son nom propre, conclure un contrat, établir un testament, intenter une action en justice. Le mari était le propriétaire de l’ensemble des biens du couple. Une femme mariée avait donc autant de droits qu’un enfant mineur ou un dément. Si la famille de la femme était suffisamment riche, elle pouvait, pour éviter la mainmise du mari, placer des biens sous le contrôle d’un tiers par l’intermédiaire d’un «trust» dans l’intérêt de la femme. Les femmes célibataires et les veuves bénéficiaient quant à elles d’un droit de propriété (statut de «feme sole»)[6].

  • L’affaire Caroline Norton 

L’affaire Caroline Norton va illustrer la situation de dépendance juridique des femmes mariées en Angleterre avant 1882. Caroline Sheridan épouse en 1827 un avocat, George Norton, qui se révèle être un mari jaloux, alcoolique, violent et incapable de gagner sa vie en tant que barrister [7] (avocat plaidant). Le mariage tourne rapidement au désastre. Elle est victime des coups de son mari. Le couple est régulièrement confronté à des problèmes financiers et se sépare à plusieurs reprises [8]. Petite fille du dramaturge et homme d’Etat Richard  Brinsley  Sheridan, Caroline Norton s’impose comme romancière et poète et noue des liens avec de grands auteurs et hommes politiques. Les soirées qu’elle donne sont célèbres. Elle compte notamment parmi ses amis, Lord Melbourne, Ministre de l’intérieur (Home Secretary). Bien que très jaloux, Norton n’hésite pas à profiter des relations de son épouse. Il est nommé en 1831 suite à l’intervention de Caroline Norton auprès de Lord Melbourne à un poste de Metropolitan Police Magistrate [9].

Caroline Norton quitte en 1836 son époux qui l’empêche de voir leurs trois enfants. Elle est alors dépossédée de ses biens, de ses gains en tant qu’auteur et privée du droit de rencontrer ses enfants après la séparation. George Norton intente une action contre Lord Melbourne, devenu Premier Ministre, pour adultère avec son épouse. Il perd le procès. La réputation de Caroline Norton est définitivement entachée. Celle-ci découvre, à son détriment, que la loi ne peut rien pour elle que ce soit pour obtenir le divorce ou pour récupérer ses enfants [10]. Elle décide de mener une croisade afin que les mères puissent solliciter un droit de garde à l’égard de leurs enfants. Elle attire l’attention du public en écrivant des pamphlets qu’elle distribue aux députés de la Chambre des Communes (Members of Parliament ou MPs[11].

  • Les Custody of Infants Acts de 1839 et 1873
The Spirit of Justice (l’esprit de la Justice) de Daniel Maclise, 1850, avec Caroline Norton au centre représentant la Justice, Auckland Art Gallery Toi o Tāmaki, New Zealand

L’activisme de Caroline Norton est récompensé par l’adoption en 1839 de la loi «Custody of Infants Act 1839» (loi relative à la garde des enfants) [12]. Sauf cas extrêmes, la garde des enfants revenait de droit au père. La nouvelle loi permet à une mère de famille non adultère de solliciter en justice un droit de visite à l’égard de ses enfants, ou leur garde s’ils sont âgés de moins de sept ans. En 1873, une nouvelle loi (Custody of Infants Act 1873) autorise les mères à demander la garde des enfants âgés de moins de seize ans, y compris si elles ont commis un adultère [13]. Caroline Norton ne réussit jamais à avoir la garde de ses enfants.

  • Le Divorce and Matrimonial Causes Act de 1857

Avant 1857, le divorce est une procédure complexe, longue, très coûteuse et qui n’est accessible qu’aux hommes riches. Caroline Norton fait également campagne en faveur d’une réforme du divorce. Elle sera d’autant plus entendue qu’elle ne revendique pas pour les femmes les mêmes droits que les hommes. Elle se contente de réclamer une protection sur le plan légal pour les femmes séparées. Caroline Norton ne conteste ni la hiérarchie entre les sexes ni la répartition traditionnelle des rôles entre les hommes et les femmes. Selon elle, la difficulté se pose uniquement lorsque les maris ne remplissent pas leur obligation de protéger et prendre soin de leur femme. Elle remet en cause le système de «coverture» en ce qu’il n’offre aucun droit aux épouses en situation de détresse (impossibilité de demander le divorce..) [14].

Caroline Norton n’obtiendra pour sa part jamais le divorce. Le Matrimonial Causes Act 1857 permet à l’homme mais aussi à la femme de solliciter le divorce mais sous des conditions différentes. Un homme pour obtenir le divorce doit prouver l’infidélité de son épouse. Une femme doit démontrer non seulement que son mari a commis un adultère ainsi qu’un autre acte grave (inceste, bigamie, de cruauté ou désertion) [15].

à suivre…


1. [↑] Voir l’ouvrage Women in England 1760-1914, A Social History, de Susie Steinbach, 2005, page 262.

2. [↑] Idem, Susie Steinbach, 2005, page 263.

3. [↑] Idem, Susie Steinbach, 2005, pages 240-242.

4. [↑] Idem, Susie Steinbach, 2005, pages 242, et 277-278.

5. [↑] Idem, Susie Steinbach, 2005, page 267 ; Commentaries on the Laws of England, de William Blackstone, Livre 1, Chapitre 15, 1765 :

version originale :

By marriage, the husband and wife are one person in law: that is, the very being or legal existence of the woman is suspended during the marriage, or at least is incorporated and consolidated into that of the husband: under whose wing, protection, and cover, she performs every thing; and is therefore called in our law-French a feme-covert; is said to be covert-baron, or under the protection and influence of her husband, her baron, or lord; and her condition during her marriage is called her coverture. Upon this principle, of a union of person in husband and wife, depend almost all the legal rights, duties, and disabilities, that either of them acquire by the marriage. I speak not at present of the rights of property, but of such as are merely personal. For this reason, a man cannot grant any thing to his wife, or enter into covenant with her: for the grant would be to suppose her separate existence; and to covenant with her, would be only to covenant with himself: and therefore it is also generally true, that all compacts made between husband and wife, when single, are voided by the intermarriage.

traduction française (Commentaires sur les Loix Angloises Volume 2, édition 1774, pages 159-160 :

Par le mariage, l’homme & la femme ne font, aux yeux de la Loi, qu’une seule personne ; car l’être ou la personne légale de la femme est suspendue durant le mariage, du moins est confondu avec celui du mari, sous la protection duquel elle se trouve ; de façon qu’elle n’est plus censée agir en rien par elle-même. Aussi nos Lois Normandes appellent-elles, en vieux François, une femme mariée, feme coverte, foemina viro co-operta. Les mêmes Lois appellent le mari Covert-Baron, & disent que durant tout le temps du mariage, la femme est sous la protection de son Baron ou seigneur, & n’a d’autre couverture que lui. De ce que la personne de la femme est confondue dans celle du mari, dérivent tous leurs droits & devoirs réciproques. Je ne parlerai point maintenant de ceux qui sont relatifs à leurs propriétés, mais seulement de ceux qui sont purement personnels. Ainsi un homme ne peut rien accorder à la femme, si même faire aucune convention avec elle ; car un accord quelconque supposerait que son existence serait séparée de la sienne et que dans le vrai cette convention ne serait faite qu’avec lui-même. Aussi toutes conventions faites entre le mari et la femme, avant qu’ils soient mariés, sont anéanties de droit par la célébration du mariage.

6. [↑] Idem, Susie Steinbach, 2005, page 267 ; voir l’ouvrage Women’s history : Britain, 1850-1945, An Introduction, de June Purvis, page 281.

7. [↑] Pour une présentation de la profession de barrister et de la distinction avec celle de solicitor voir l’article précédent Les gens de justice anglais I : les avocats et juges de paix.

8. [↑] Idem, Susie Steinbach, 2005, page 269.

9. [↑] Idem, Susie Steinbach, 2005, page 269 ; voir l’ouvrage Florence Nightingale, 1820–1910, de Cecil Woodham-Smith, 1951, page 220.

10. [↑] Idem, Susie Steinbach, 2005, page 269 ; idem, Cecil Woodham-Smith, 1951, page 220.

11. [↑] The Separation of Mother and Child by the Law of « Custody of Infant, de Caroline Norton, 1838 ; A Plain Letter to the Lord Chancellor on the Infant Custody Bill, de Caroline Norton, 1839.

12. [↑]  Idem, Susie Steinbach, 2005, page 269 ; idem, Cecil Woodham-Smith, 1951, page 220.

13. [↑] Voir l’article Custody rights and domestic violence sur le site http://www.parliament.uk.

14. [↑] Voir l’article Covered but Not Bound: Caroline Norton and the 1857 Matrimonial Causes Act, de Mary Poovey, Feminist Studies, volume 14, numéro. 3 (automne, 1988), pages 467-485) ; Idem, Susie Steinbach, 2005, page 270.

15. [↑] Voir l’article Obtaining a divorce sur le site http://www.parliament.uk.

 

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