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L’histoire du droit à l’avortement aux Etats-Unis (I)

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Il y a 45 ans, la Cour suprême des Etats-Unis consacrait le droit à l’avortement avec l’arrêt Roe v. Wade (22 janvier 1973). Ce droit n’a cessé depuis d’être remis en cause et est aujourd’hui fortement menacé dans plusieurs Etats.

L’avortement n’a pourtant pas toujours été un sujet de controverse aux Etats-Unis. Il a même pendant longtemps été toléré et n’est devenu un crime, sauf en cas de mise en danger de la vie de la mère, qu’à la fin du 19ème siècle [1].

Une pratique longtemps tolérée

Pennyroyal (en français menthe pouliot) utilisée pour ses propriétés abortives, illustration de l’ouvrage Medical Botany de William Woodville, vol. 3, 1793

Après l’indépendance, l’avortement demeure régi par les règles de common law héritées de l’Angleterre [2]. Seul est illégal l’avortement pratiqué après le « quickening » (« animation ») c’est-à-dire après les premiers mouvements du fœtus perçus par la mère, qui surviennent généralement au cours du quatrième mois de grossesse [3]. Avant le quickening, on ne parle pas d' »avortement », le fœtus n’étant pas considéré à ce stade comme un être humain [4].

L’avortement est alors une pratique relevant du domaine privé, à la fois courante et tolérée [5]. Les plantes réputées permettre de « rétablir la menstruation » sont connues (sabine, menthe pouliot, tanaisie, coton utilisé par les esclaves, etc.) [6]. On les trouve dans les bois, ou les cultive dans les jardins. Au milieu du 18ème siècle, le commerce des potions à base de substances abortives se développe [7].

Les lois anti-poison de 1821 à 1841

Les premières lois américaines pénalisant l’avortement sont adoptées dans la première moitié du 19ème siècle. La préoccupation principale n’est ni morale ni religieuse mais sanitaire [8]. Il s’agit de protéger les femmes des vendeurs de remèdes aux propriétés dites abortives provoquant couramment le décès de celles qui les prenaient [9].

Illustration de la National Police Gazette, New York, 14 septembre 1867, sous-titrée « The abortionist and seducer thrusting their dying victim into the street at Lansingburg, N.Y.« , Library of Congress

Le Connecticut est le premier Etat à adopter une législation en matière d’avortement en 1821 [10]. La loi réprime l’administration de « poison » en vue de provoquer une fausse couche après le quickening dont les conséquences peuvent être fatales pour la femme [11]. Les avorteurs sont les seuls visés par l’infraction. Aucune sanction n’est prévue pour la femme considérée comme une victime [12]. La peine maximale encourue est la prison à vie [13].

Après le Connecticut, d’autres Etats vont adopter à leur tour jusqu’aux années 1840 des législations sur l’avortement visant les personnes pratiquant des avortements (par administration de poison ou procédés mécaniques) aux conséquences parfois dramatiques pour les femmes [14].

Publicités parues le 24 février 1842 dans le New York Sun Newspaper pour des traitements en cas d’ « irrégularités menstruelles » ou « blocage des règles », Library of Congress

L’Etat de New-York introduit en 1828 pour la première fois la notion d’avortement thérapeutique [15]. S’il prohibe l’avortement après le quickening, il prévoit une exception lorsqu’il est pratiqué pour sauver la vie de la femme la mère [16].

Dans les années 1840, l’avortement est devenu un commerce lucratif [17]. Les journaux publient des annonces vantant les mérites de tel produit ou professionnel [18].

Illustration d’Ann Lohman alias Madame Restell, présentée comme l’avorteuse, dans la National Police Gazette, 13 mars 1847

La professionnelle de l’avortement la plus connue, Ann Lohman, une émigrée anglaise, se faisant appeler «Madame Restell», propose pendant 35 ans ses services en qualité de femme médecin («Female Physician») [19]. Sa principale clientèle est composée de femmes blanches, mariées, protestantes, nées aux États-Unis, souvent issues de classes moyennes ou supérieures et souhaitant limiter la taille de la famille [20]. L’avortement ne concerne plus principalement les femmes célibataires en détresse [21].

A compter des années 1850, des médecins avec en chef de file, le docteur Horatio Storer, entament une campagne anti-avortement qui commence à porter ses fruits à compter des années 1860 [22].

A suivre…


1. [↑] Voir l’ouvrage When Abortion Was a Crime, de Leslie J. Reagan, 1998.

2. [↑] Idem, Leslie J. Reagan, 1998, page 8 ; l’ouvrage Abortion in America: The Origins and Evolution of National Policy, de James C. Mohr, 1979, page 3 ; l’ouvrage  Roe V. Wade: The Abortion Rights Controversy in American History, de N. E. H. Hull et Peter Charles Hoffer, 2001, page 17.

3. [↑] Idem,  Leslie J. Reagan, 1998, page 8 ; idem James C. Mohr, 1979, pages 3-4 ; idem  N. E. H. Hull et Peter Charles Hoffer, 2001, pages 17-18.

4. [↑] Idem, Leslie J. Reagan, 1998, page 9 ; idem James C. Mohr, 1979, page 3 ; idem, N. E. H. Hull et Peter Charles Hoffer, 2001, page 18.

5. [↑] Idem, Leslie J. Reagan, 1998, pages 8-9 ; idem James C. Mohr, 1979, pages 4, 246.

6. [↑] Idem,Leslie J. Reagan, 1998, page 9 ; voir également N. E. H. Hull et Peter Charles Hoffer, 2001, page 13.

7. [↑] Idem, Leslie J. Reagan, 1998, page 9.

8. [↑] Idem, Leslie J. Reagan, 1998, page 10 ; idem, James C. Mohr, 1979, page 21 ; voir également N. E. H. Hull et Peter Charles Hoffer, 2001, pages 17-21

9. [↑] Idem, Leslie J. Reagan, 1998, page 9 ; idem, James C. Mohr, 1979, page 21 ; idem, N. E. H. Hull et Peter Charles Hoffer, 2001, page 17.

10. [↑] Idem, James C. Mohr, 1979, page 20 ; idem, N. E. H. Hull et Peter Charles Hoffer, 2001, page 20 ; voir l’article Abortion: Reform and the Law, de Loren G. Stern, Journal of Criminal Law and Criminology, volume n° 59, numéro 1, page 84 ; voir l’article Before (and After) Roe v. Wade: New Questions About Backash, Linda Greenhouse and Reva B. Siegel, The Yale Law Journal, volume 120, 2011, page 2034.

11. [↑] Idem, James C. Mohr, 1979, page 22 ; idem, N. E. H. Hull et Peter Charles Hoffer, 2001, page 20.

12. [↑] Idem, James C. Mohr, 1979, page 22 ; idem, N. E. H. Hull et Peter Charles Hoffer, 2001, page 20.

13. [↑] Idem, James C. Mohr, 1979, page 21 ; voir l’article Abortion: Reform and the Law, de Loren G. Stern, Journal of Criminal Law and Criminology, volume n° 59, numéro 1, page 84.

14. [↑] Missouri en 1825, Illinois en 1827, New-York en 1828 ; voir James C. Mohr, 1979, page 25 ; idem, N. E. H. Hull et Peter Charles Hoffer, 2001, pages 20-21.

15. [↑] Idem, James C. Mohr, 1979, page 27 ; idem, N. E. H. Hull et Peter Charles Hoffer, 2001, page 21.

16. [↑] Idem, James C. Mohr, 1979, pages 26- 27 ; idem, N. E. H. Hull et Peter Charles Hoffer, 2001, page 21.

17. [↑] Idem, Leslie J. Reagan, 1998, page 10 ; idem, James C. Mohr, 1979, page 47.

18. [↑] Idem, Leslie J. Reagan, 1998, page 10 ; idem, N. E. H. Hull et Peter Charles Hoffer, 2001, page 14 ; idem, James C. Mohr, 1979, page 47.

19. [↑] Idem, Leslie J. Reagan, 1998, page 10 ; idem, James C. Mohr, 1979, page 48.

20. [↑] Idem, Leslie J. Reagan, 1998, page 10 ; idem, James C. Mohr, 1979, pages 46-47.

21. [↑] Idem, Leslie J. Reagan, 1998, page 10 ; idem, James C. Mohr, 1979, pages 46-47.

22. [↑] Idem, Leslie J. Reagan, 1998, page 11 ; idem, N. E. H. Hull et Peter Charles Hoffer, 2001, pages 31-24.

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