Aller le contenu

Le procureur spécial aux Etats-Unis (II)

image_pdfimage_print

Après le Watergate, l’heure est à la moralisation du pouvoir exécutif. Le Congrès américain adopte en 1978 une nouvelle législation (Ethics in Government Act (EGA), loi sur l’éthique dans l’administration publique) visant au contrôle de l’application des règles d’éthique par les membres du gouvernement et les hauts fonctionnaires. Elle leur impose de divulguer leurs ressources financières afin de prévenir les conflits d’intérêts [1].

Jimmy Carter signant l’ Ethics in Government Act de 1978, 26 octobre 1978, Rutgers University Libraries

Plusieurs dispositions (Titre VI) sont dédiées au Procureur Spécial («special prosecutor» devenu en 1982 «independent counsel») qui acquiert un véritable statut [2]. Elles sont prévues pour une durée de cinq ans et doivent être reconduites à l’expiration par le Congrès. La loi oblige le ministre de la justice (Attorney General) à ouvrir une enquête s’il est informé que le président des États-Unis, le vice-président  ou des hauts responsables seraient susceptibles d’avoir commis une infraction réprimée au niveau fédéral. Il dispose alors de quatre-vingt-dix jours pour examiner le sérieux des accusations et, dans l’affirmative, décider de la nomination d’un Procureur Spécial (Independent Counsel) chargé d’instruire l’enquête.

Afin de garantir son indépendance, le choix du Procureur Spécial est confié à trois juges désignés par le président de la Cour Suprême des États-Unis. Il peut être démis de ses fonctions par le ministre de la justice si celui-ci justifie d’un motif valable («good cause»), suite à une incapacité physique ou mentale, ou enfin par un collège de trois juges à la fin de sa mission. Comme tout fonctionnaire fédéral, il peut être également révoqué suite à une destitution par le Congrès.

Ce statut garantit une grande indépendance au procureur spécial qui peut mener ses investigations sans pression, avec un budget non restreint et sans limitation dans le temps. Il est validé en 1988 par une décision de la Cour suprême des États-Unis (arrêt Morrison v. Olson). La loi Ethics in Government Act, dont les dispositions sont limitées dans la durée, est renouvelée à plusieurs reprises. Le président Clinton regrettera amèrement d’avoir soutenu en 1994 son renouvellement par le Congrès après qu’il ait expiré en 1992. En 1999, un consensus existe au sein des deux partis après les enquêtes de l‘Irangate (sous Reagan) et du Whitewater (sous Clinton) en faveur de la non reconduction de la loi. Le processus de désignation des procureurs spéciaux est depuis réglementé par le ministère de la justice (Regulation 28 CFR Part 600). Aucune loi fédérale ne l’a remplacée. La nomination des procureurs spéciaux relève désormais du ministre de la justice ou du « ministre de la justice faisant fonction » si le premier décide de se récuser. Les motifs de révocation par le ministre de la justice sont en outre plus nombreux.

Le scandale de l’Irangate

Lawrence Walsh le 19 décembre 1986, Byrne, Iran-Contra, Wally McNamee/CORBIS, nsarchive.gwu.edu

En 1986, le ministre de la justice Edwin Meese demande, face à la pression de l’opposition et des médias, la nomination d’un procureur spécial pour enquêter sur les ventes secrètes d’armes à l’Iran par les États-Unis. Les trois juges font le choix de l’ancien avocat Lawrence E. Walsh, 74 ans. Mandat lui est donné d’enquêter sur les ventes d’armes en Iran et le financement de la guérilla antisandiniste au Nicaragua.

Le scandale porte sur la vente illégale par l’administration Reagan d’armes à l’Iran dans le but d’obtenir la libération d’otages américains détenus au Liban puis de fournir une aide militaire aux Contras s’opposant au régime sandiniste, en dépit de l’interdiction par le Congrès.

Après une enquête qui aura duré sept années et coûté 39 millions de dollars, le Procureur Walsh conclut en janvier 1994 que le président Ronald Reagan a participé ou à tout le moins donné son accord aux tentatives d’étouffer l’affaire. Son implication directe n’est par contre pas démontrée. Les principaux responsables comme Oliver North et John Poindexter condamnés en première instance sont relaxés en appel ou graciés par le président George H. W. Bush.

L’affaire du Whitewater

En 1994, Kenneth Star est nommé procureur spécial, suite à la décision du congrès de reconduire finalement la loi Ethics in Government Act, par un collège de trois juges pour enquêter sur l’affaire Whitewater, qui deviendra plus tard «l »affaire Monica Lewinsky». Il remplace le procureur spécial Robert B. Fiske, nommé par la ministre de la justice Janet Reno en 1992 après que les dispositions de la loi Ethics in Government Act aient expiré.

Photo officielle de Kenneth Starr, non datée, Wikimedia Commons

L’enquête porte initialement sur le financement d’un projet immobilier de 93 hectares dans l’Arkansas dans lequel le couple Clinton a investi à la fin des années 70 et le suicide en 1993 d’un conseiller adjoint de la Maison Blanche Vince Foster, ami des Clinton. Progressivement, Kenneth Star obtient l’extension de l’enquête à d’autres affaires débordant parfois sur la vie sexuelle du président : le Travelgate (licenciement d’employés de la Maison Blanche chargés des voyages de la presse accréditée), le Filegate (le « scandale des fiches » concernant l’obtention par la présidence entre 1993 et 1994 de fiches confidentiels du FBI concernant 900 personnalités républicaines), l’affaire Paula Jones (employée de l’État de l’Arkansas accusant Bill Clinton de harcèlement sexuel lorsqu’il était gouverneur de l’Arkansas en 1991), le Monicagate (affaire Monica Lewinsky, relation sexuelle entre le président des États-Unis et une stagiaire de la Maison Blanche).

Procès en destitution de Bill Clinton devant le Sénat américain

Après quatre années d’enquête, le Procureur spécial remet en septembre 1998 un rapport au Congrès dans lequel il demande la destitution du président des États-Unis. Il retient onze chefs d’accusation pour parjure, subordination de témoins, obstruction à la justice et abus de pouvoir uniquement en lien avec les frasques sexuels du président avec un stagiaire de la Maison Blanche. Est essentiellement reproché au président d’avoir tenté de caché à la justice sa liaison avec Monica Lewinsky en mentant sous serment à plusieurs reprises, en mentant au public et au Congrès et en faisant pression sur des témoins, etc.

Bill Clinton est le premier président des États-Unis à avoir été mis en accusation par la chambre des représentants. Il lui est reproché des faits de parjure et d’obstruction à la justice. Son procès débute devant le Sénat le 7 janvier 1999. Le 12 février 1999, les sénateurs acquittent par 55 voix contre 45, et 50 voix contre 50, Bill Clinton des deux chefs d’accusation. En octobre 1999, Kenneth Starr démissionne de ses fonctions. Les investigations de l’affaire «Whitewater» auront coûté 70 millions de dollars.

Les procureurs spéciaux depuis 1999

Lorsque les dispositions de l’independent counsel Act (loi sur le procureur spécial) expirent le 30 juin 1999, rares sont ceux qui souhaitent sa reconduction. Les républicains y étaient déjà opposés en 1994 et les démocrates, après les excès de l’affaire Lewinsky, souhaitent l’enterrer au plus vite. L’influente et puissante American Bar Association, qui avait longtemps longtemps soutenu le statut de l’independent counsel, en appelle au Congrès à ne pas la proroger. Après 21 ans d’existence, le bilan de cette loi est très mitigé : des enquêtes à un coût faramineux (166 millions de dollars) avec des résultats très relatifs et une tendance de certains procureurs à s’ériger en inquisiteurs incontrôlables.

  • Le sénateur John Danforth est nommé en 1999 par la ministre de la justice Janet Reno pour enquêter sur le rôle du FBI dans l’assaut mené en 1993 contre la secte des davidiens à Waco au Texas entraînant la mort de 82 personnes dont 21 enfants ;

  • Patrick J. Fitzgerald est nommé en 2003 par le ministre de la justice adjoint James B. Comey (le ministre de la justice John Ashcroft s’étant récusé) pour enquêter sur les fuites au sein de l’administration Bush ayant abouti à la divulgation de l’identité d’un agent de la CIA, Valerie Plame, épouse d’un diplomate américain Joseph Wilson (l’affaire Plame-Wilson). Le directeur de cabinet du vice-président Dick Cheney est finalement condamné en 2007 pour parjure et obstruction à la justice ;

  • Robert Mueller est nommé en mai 2017 procureur spécial par le numéro deux du ministère de la Justice, Rod Rosenstein, après que le ministre de la Justice, Jeff Sessions, se soit récusé, afin d’enquêter sur les ingérences russes lors de l’élection présidentielle en 2016 et les liens éventuels avec la campagne de Trump.


1. [↑] Voir l’article Ethic In Governement, de Joseph C.Bryce, Thomas J.Gibson, Daryn E.Rush, American Criminal Law Review, volume 29, 1992 ;

2. [↑] Voir l’article Independent Counsels, Special Prosecutors, Special Counsels, and the Role of Congress, de Jack Maskell, Congressional Research Service, June 20, 2013 ; l’article The independent Counsel Statute : A Legal History, de Benjamin J.Priester,Paul G.Rozelle, Mirah A. Horowitz, Law and Contemporary Problems, volume 62, numéro 1, hiver 1999 ;

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *