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L’arrêt Miranda v. Arizona de 1966 : Vous avez le droit de garder le silence…

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En 1966, la cour suprême des États-Unis rend l’arrêt historique Miranda v. Arizona [1], qui oblige d’informer tout suspect de ses droits avant de pouvoir procéder à son audition. Il s’agit concrètement du rappel des droits prévus dans les cinquième et sixième amendements de la Constitution américaine : le droit au silence, le droit de ne pas témoigner contre soi-même et le droit d’être assisté par un avocat. Qui n’a pas déjà entendu dans une série télévisée américaine ou au cinéma cette formule désormais célèbre prononcée par un policier suite à une interpellation : «Vous avez le droit de garder le silence. Si vous renoncez à ce droit, tout ce que vous direz pourra être et sera utilisé contre vous devant une cour de justice. Vous avez le droit à un avocat et d’avoir un avocat présent lors de l’interrogatoire. Si vous n’en avez pas les moyens, un avocat vous sera fourni gratuitement. Durant chaque interrogatoire, vous pourrez décider à n’importe quel moment d’exercer ces droits, de ne répondre à aucune question ou de ne faire aucune déposition.» ?

L’origine de l’affaire

La voiture de la compagne d’Ernesto Miranda

Le soir du 2 mars 1963 à Phoenix dans l’Arizona, une jeune fille de 18 ans, Lois Ann Jameson (le nom a été modifié), rentre chez elle à pied. Un individu circulant en voiture s’arrête à son niveau et la force à monter dans son véhicule. Il l’emmène dans un endroit désert en dehors de la ville et la viole. Il lui prend son argent et la redépose un peu plus tard à quelques pâtés de maison de chez elle. Le récit fait par la victime est assez imprécis. Elle décrit son agresseur comme un jeune homme d’une vingtaine d’années, d’origine latino-américaine, de faible corpulence, portant un jean, un tee-shirt blanc, des lunettes et conduisant une vieille berline [2].

Une semaine plus tard, la victime rentre un soir à son domicile accompagnée de son beau-frère. Ils croient apercevoir à proximité de chez elle le véhicule de l’agresseur, une voiture de marque Packard, modèle de 1953 et parviennent à noter une partie du numéro d’immatriculation. Les policiers font rapidement le lien avec un véhicule ayant un numéro d’immatriculation très proche appartenant à une femme, Twila Hoffman, dont le petit ami, Ernesto Miranda, 23 ans, correspond à la description de la victime [3].

Photo du tapissage organisé par les policiers de Phoenix (Ernesto Miranda : numéro 1)

Ernesto Miranda est connu de la justice depuis l’âge de 14 ans. Il a notamment été condamné à 15 ans pour une tentative de viol. Le 13 mars 1963, les policiers de la ville de Phoenix, Carroll Cooley et Wilfred Young l’interpellent à son domicile et le placent en garde à vue (in custody). Lors de son interrogatoire, Ernesto Miranda dément, dans un premier temps, toute implication dans le viol de Lois Ann Jameson. Il est ensuite présenté à la victime lors d’un tapissage organisé par la police aux côté de trois autres hommes d’origine latino-américaine. Il est le seul à porter des lunettes et un t-shirt. La victime n’identifie pas de manière formelle Ernesto Miranda mais précise qu’il est celui qui ressemble, parmi les quatre, le plus à son agresseur [4].

Les policiers Carroll Cooley et Wilfred Young indiquent à Ernesto Miranda qu’il a été identifié par la victime. Selon les policiers, il aurait alors avoué avoir commis les faits. L’audition se déroule sans la présence d’un avocat, et n’est pas enregistrée. Miranda accepte de compléter un formulaire dans lequel il dit faire une déclaration volontaire et sans contrainte en indiquant son nom, son âge et son niveau d’étude (Eighth grade, ≈ 13-14 ans) et rédige et signe une confession écrite dans laquelle il reconnaît être l’auteur de l’agression sexuelle. Il indique oralement être aussi l’auteur d’un vol commis plusieurs mois plus tôt en novembre 1962 au préjudice d’une autre jeune femme, « Barbara Doe ». Il est placé en détention et inculpé deux jours plus tard [5].

Formulaire avec avec la confession signée d’Ernesto Miranda

Ernesto Miranda est d’abord jugé le 19 juin 1963 pour les faits de vol de novembre 1962 au préjudice de Barbara Doe (le nom a été modifié). N’ayant pas les moyens de payer sa défense, il est assisté par un avocat commis d’office, Alvin Moore, âgé de 73 ans et n’ayant que très peu d’expérience en matière pénale. Lors du procès pour vol, l’avocat plaide d’abord en vain la démence de son client, laquelle est écartée par deux médecins experts. Il fait de manière maladroite référence aux faits de viol de mars 1963 en évoquant l’affaire. L’avocat met par contre en évidence pendant le contre-interrogatoire de Cooley que Miranda n’a pas été informé de son droit d’être assisté par un avocat et que ce qu’il dirait pourrait être utilisé contre lui. Il soutient que son client n’a pas avoué de son plein gré et que les aveux ont été obtenus sous une certaine contrainte. L’argument est rejeté par le juge.  Miranda est déclaré coupable. Le prononcé de la peine est reporté [6].

Le procès pour viol se tient le lendemain devant le même juge. Les aveux écrits signés par Miranda sont utilisés comme un moyen de preuve contre lui. Alvin Moore soulève une nouvelle fois sans succès l’irrégularité de la confession de son client. Il estime que Miranda a été privé des droits que lui confère la Constitution américaine. Ernesto Miranda est finalement déclaré coupable par le jury pour les faits d’enlèvement et de viol. Il est condamné à une peine de 20 à 30 années de prison. Son avocat interjette appel devant la cour suprême d’Arizona qui confirme en avril 1965 la première décision. La cour suprême d’Arizona relève que le suspect n’a pas expressément sollicité l’assistance d’un avocat [7].

L’affaire devant la cour suprême des États-Unis

Robert J. Corcoran, avocat de l’Arizona membre de l’Union américaine pour les libertés civiles (ACLU), s’intéresse à l’affaire durant l’été 1965. Il fait appel à deux avocats éminents de Phoenix, John J. Flynn et John P. Frank, et leur propose d’assurer la défense à titre gracieux d’Ernesto Miranda, l’affaire soulevant une question constitutionnelle majeure et susceptible de faire évoluer sur les droits de la défense [8].

Ernesto Miranda et son avocat John Flynn (à gauche), journal Arizona Republic

Dans leur requête devant la cour suprême des États-Unis, les avocats de Miranda invoquent la violation du sixième amendement de la constitution américaine. Ils remettent en cause la recevabilité d’aveux obtenus d’une personne pauvre, ayant reçu un faible niveau d’instruction et souffrant d’un retard sur le plan intellectuel, qui n’a pas été informée de son droit d’être assisté par un avocat.

La position majoritaire de la cour (5 contre 4) est développée par le président de la cour suprême, Earl Warren. Elle renverse la décision de la cour suprême d’Arizona. Elle retient que compte tenu du caractère coercitif de la garde à vue, une confession n’est recevable qu’à condition que le suspect ait été informé au préalable de ses droits (droit de ne pas témoigner contre soi-même et droit d’être assisté par un avocat).

Le Président Earl Warren, rédacteur de l' »opinion » majoritaire, photographie de Harris & Ewing

La cour consacre ce qu’on appellera plus tard les droits Miranda (Miranda rights) en indiquant que « la personne en garde à vue doit, préalablement à son audition, être clairement informée qu’elle a le droit de garder le silence et que tout ce qu’elle dira pourra être utilisé contre elle devant les tribunaux ; elle doit être clairement informée qu’elle a le droit de consulter un avocat et d’être assistée par lui durant l’audition, et que, si elle n’a pas les moyens, un avocat lui sera désigné d’office.« 

Ernesto Miranda est rejugé en 1967 pour les faits de viol et en 1971 les faits de vol sans qu’il soit fait référence à ses aveux écrits. Il est à chaque fois à nouveau déclaré coupable. Le témoignage contre lui de son ex-compagne Twila Hoffman pour l’accusation de viol et celui de la victime pour les faits de vol emportent la conviction des jurys. La cour suprême d’Arizona va confirmer le jugement de 1967 et la cour suprême des États-Unis refuser de réexaminer l’affaire.

Miranda bénéficie d’une libération conditionnelle en 1972. De manière tragi-comique, il vit pendant un temps en vendant des cartes dédicacées d’avertissement des droits Miranda à 1,50 dollars [9]. Il est condamné pour quelques infractions routières et incarcéré à nouveau plusieurs mois. Il meurt en janvier 1976 suite à un coup de couteau reçu lors d’une bagarre dans un bar de Phoenix [10].


1. [↑] Voir l’arrêt Miranda v. Arizona sur les sites www.oyez.org, www.law.cornell.edu et www.uscourts.gov.

2. [↑] Voir l’ouvrage « Miranda: The Story of America’s Right to Remain Silent » de Gary L. Stuart, 2004 ; l’ouvrage « Miranda V. Arizona: The Rights of the Accused » de Michael Burgan, 2006 ; l‘article You Have The Right To Remain Silent, The strange story behind the most cited case in American history: THE MIRANDA DECISION« , de H. Mitchell Caldwell et Michael S. Lief, dans la revue American Heritage d’août/septembre 2006, Volume 57, numéro 4 ; l’article « Miranda Rights and Warning, Landmark Case Evolved from 1963 Ernesto Miranda Arrest » sur le site ThoughtCo.

3. [↑] Voir l’ouvrage « Miranda: The Story of America’s Right to Remain Silent » de Gary L. Stuart, 2004 ; l’ouvrage « Miranda V. Arizona: The Rights of the Accused » de Michael Burgan, 2006 ; l‘article You Have The Right To Remain Silent, The strange story behind the most cited case in American history: THE MIRANDA DECISION« , de H. Mitchell Caldwell et Michael S. Lief, dans la revue American Heritage d’août/septembre 2006, Volume 57, numéro 4 ; l’article « Miranda Rights and Warning, Landmark Case Evolved from 1963 Ernesto Miranda Arrest » sur le site ThoughtCo.

4. [↑] Ibid Gary L. Stuart, 2004 ; Ibid, Michael Burgan, 2006 ; Ibid, de H. Mitchell Caldwell et Michael S. Lief.

5. [↑] Ibid Gary L. Stuart, 2004 ; Ibid, Michael Burgan, 2006 ; Ibid, de H. Mitchell Caldwell et Michael S. Lief.

6. [↑] Ibid Gary L. Stuart, 2004 ; Ibid, Michael Burgan, 2006 ; Ibid, de H. Mitchell Caldwell et Michael S. Lief.

7. [↑] Ibid Gary L. Stuart, 2004 ; Ibid, Michael Burgan, 2006 ; Ibid, de H. Mitchell Caldwell et Michael S. Lief.

8. [↑] Deux arrêts de la cour suprême des Etats-Unis avaient les années précédentes ouvert la voie à un renforcement des droits de la défense : l’arrêt Gideon v. Wainwright (sur le droit à un avocat pour les personnes pauvres n’ayant pas les moyens de financer leur leur défense), et l’arrêt Escobedo v. Illinois (sur le droit à un avocat durant les interrogatoires par la police).

9. [↑] Ibid, Gary L. Stuart, 2004.

10. [↑] Ibid Gary L. Stuart, 2004 ; l’article « 1966 The Miranda rights are established » sur le site History (http://www.history.com).

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