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La libération sous caution aux Etats-Unis (II) : le bounty hunter (chasseur de primes)

Figure emblématique de la culture américaine, le chasseur de primes évoque dans l’imaginaire collectif le far-west (Josh Randall dans la série télévisée Wanted: Dead or Alive ou le docteur King Schultz dans le film Django) et le space opera (Boba Fett dans la saga Star Wars). Aussi appelé fugitive recovery agent ou bail recovery agent, il traque les fugitifs pour obtenir la récompense (bounty) offerte pour leur arrestation. Le chasseur de primes a eu également ces dernières années son émission de télé-réalité avec le programme «Dog the Bounty Hunter» où l’on suit les aventures du chasseur de primes Duane Chapman, à Hawaï et au Colorado pendant huit saisons, de 2004 à 2012.

Steve McQueen dans le rôle de Josh Randall dans la série télévisée Wanted: Dead or Alive (Au nom de la loi) diffusée de 1958 à 1961

Les chasseurs de prime sont engagés par les bail bond agencies, des agences spécialisées dans la garantie de cautions judiciaires. Ils interviennent lorsqu’une personne libérée sous caution ne se présente pas au tribunal à la date fixée. Ils perçoivent en général 10 à 20% du montant de la caution [1]. Chaque Etat définit les règles régissant la profession. Dans 22 Etats, aucune licence professionnelle n’est nécessaire. Dix-huit Etats ne procèdent à aucun contrôle des qualifications détenues par les chasseurs de primes. La profession est interdite dans quatre états (Illinois, Kentucky, Oregon, Wisconsin) sur cinquante [2].

Du thief-taker au bounty hunter

L’origine du chasseur de primes n’est pas établie avec certitude. Le professeur de science politique Brian K. Pinaire remonte pour sa part à la fin du 17ème siècle en Angleterre [3]. Londres est alors en proie à un taux de criminalité important. Il n’existe aucune police organisée, la première police professionnelle à Londres, le Metropolitan Police Service datant seulement de 1829.

20 Pounds reward (récompense de 20 livres), publié par J. Mills, imprimeur à Kidderminster en Grande Bretagne, a priori en 1816, Harvard Library

La criminalité devient de plus en plus une source de préoccupation du gouvernement. Le Parlement anglais tente d’apporter plusieurs réponses. Il élargit la peine de mort aux infractions mineures contre les biens comme les vols à l’étalage et les vols commis par les domestiques. En 1692, il adopte une loi mettant en place un système de primes pour récompenser les personnes permettant l’arrestation, les poursuites et la condamnation des voleurs de grand chemin (Highwaymen). Le système de récompenses s’étend progressivement à d’autres infractions. Des individus se spécialisent dans la capture de délinquants et leur présentation devant les juges de paix. Avec l’augmentation progressive au 18ème du montant des récompenses offertes, le nombre de thief-takers progressent.

La profession de thief-taker est rapidement gangrenée par la corruption [4]. Le thief-taker le plus célèbre d’Angleterre fut Jonathan Wild. A la tête d’un gang de voleurs, il vivait des rétributions payées par les victimes pour avoir «retrouvé» leurs biens. Il aurait par son témoignage envoyé plus d’une centaine de voleurs (ceux tentés de le concurrencer ou de remettre en cause son autorité) à l’échafaud. Il a été condamné à mort en 1725.

De l’arrêt Taylor v. Taintor de 1872 au Dog the Bounty Hunter

L’arrêt de Taylor versus Taintor [5] de la Cour Suprême des Etats-Unis reconnaît en décembre 1872 l’activité des chasseurs de primes. Il autorise le garant de caution ou l’un de ses agents à appréhender un fugitif à son domicile à tout moment y compris en s’introduisant par effraction. Il précise également que l’arrestation peut être faite sur tout le territoire des Etats-Unis. Par cette décision, la Cour Suprême octroie aux chasseurs de primes un pouvoir plus important que celui du sheriff dont l’autorité se limite au comté [6].

Le juge suprême Noah Haynes Swayne, photographie prise entre 1865 et 1880, Library of Congress

Le pouvoir des chasseurs de primes surpasse celui de la police. Ils ne sont pas tenus comme les représentants des forces de l’ordre par les garanties consacrées par le quatrième amendement de la constitution américaine (perquisitions et saisies non motivées), le cinquième amendement (droit de ne pas témoigner contre soi-même), le sixième amendement (droit à un avocat). En effet, ils n’agissent pas au nom de l’Etat mais en qualité d’acteurs privés [7]. Ils tirent directement leur pouvoir du contrat de caution de droit privé que la personne recherchée a signé avec le garant de la caution (bail bondsman).  Ce contrat  permet de procéder à l’arrestation de la personne si elle ne comparaît pas devant la justice à la date et heure prévues. Ils peuvent entrer de force au domicile d’un particulier et peuvent, comme les policiers, avoir recours à toute la force nécessaire pour procéder à l’arrestation, au besoin en ripostant avec une arme à feu. Les chasseurs de primes n’ont par contre aucun pouvoir pour appréhender un fugitif à l’étranger.

Les chasseurs de primes sont parties intégrantes du système de caution américain qui est un marché très lucratif avec à sa tête les garants de caution (bail bonds agents). Cependant, les critiques de ce système sont de plus en plus nombreuses. Elles dénoncent son caractère injuste et potentiellement dangereux. Le système de caution aboutit à l’incarcération de personnes innocentes au seul motif qu’elles sont incapables de payer leur caution. D’autres préfèrent plaider coupables pour éviter de régler une caution prohibitive. La presse se fait en outre régulièrement l’écho de bavures de chasseurs de primes : erreurs d’identification de fugitifs, interpellations «musclées» et autres dérapages. Pour ces raisons, plusieurs Etats ont décidé de réformer leur système de caution. L’association Professional Bail Agents of the United States (PBUS) qui représentent les 15500 garants de caution répartis sur le territoire américain milite fortement contre toute réforme. Elle est présidée par Beth Chapman, qui est l’épouse du plus célèbre chasseur de primes américain l’ancienne star de télé-réalité Duane Chapman.


1. [↑] Voir l’article Bounty hunting – Delivery men, Bounty-hunters are arguing about whether they should be regulated, 1er septembre 2016, The Economist (US).

2. [↑] Voir l’article The Regulation and Control of Bail Recovery Agents: An Exploratory Study, de Brian R. Johnson et Ruth S. Stevens, Criminal Justice Review, numéro 28 (2), 2013.

3. [↑] Voir l’article Who Let (the) Dog Out?, de Brian K. Pinaire, Criminal Law Bulletin, Vol. 47, numéro 6, 2011.

4. [↑] Voir les articles précédents du blog :  City of Vice : les frères Fielding et la création des Bow Street Runners et Garrow’s law : William Garrow et l’arme du contre-interrogatoire.

5. [↑] Voir l’arrêt Taylor v. Taintor 83 U.S. 366 (1872) sur le site http://caselaw.findlaw.com.

6. [↑]  Voir l’ouvrage Writing Westerns: How to Craft Novels that Evoke the Spirit of the West, Mike Newton, 2012.

7. [↑] Voir l’article Reining in Bounty Hunters, Gerald D. Robin, publié dans le magazine juridique GPSolo Magazine, mars 2007, sur le site www.americanbar.org ; l’article Does the Bounty-Hunting Industry Need Reform?, de Katie Bo Williams, 23 juillet