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Les 800 ans de la Magna Carta

C’est avec surprise que j’ai découvert l’importance fondamentale de ce document vieux de 800 ans pour les pays de la Common law [1] et l’engouement incroyable qu’il suscite encore aujourd’hui [2].

La Magna Carta Libertatum (La Grande Charte) représente pour les Etats-Unis et le Royaume-Uni l’emblème de la liberté contre l’oppression. Elle est enseignée à l’école primaire, et elle est même régulièrement mentionnée dans les consignes données aux jurés américains avant de siéger.

De nombreux événements ont ainsi été organisés pour la célébration de cet anniversaire. Une cérémonie de commémoration s’est notamment tenue au Royaume-Uni le 15 juin sous la présidence de la reine Elisabeth II et en présence du premier ministre David Cameron. Les américains et les canadiens ne sont pas en reste.

Icône de la liberté

La Magna Carta est un accord oral conclu, en pleine féodalité, le 15 juin 1215 à Runnymede dans le Comté de Surrey entre des barons anglais frondeurs et le Roi Jean Sans Terre (King John). De 1199 à 1216, Jean Sans Terre a augmenté l’impôt militaire au grand mécontentement des barons. Ceux-ci refusent de continuer à financer les guerres menées en France par le Roi qui multiplie les échecs (dernièrement la bataille de Bouvines, 1214). Soutenus par les principaux prélats du Royaume, ils forment une coalition et se rebellent. Ils s’emparent de Londres en mai 1215 et capturent le Roi.

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« John, Magna Carta », The Granger Collection, New York, {{PD-1923}}

Cette charte est donc imposée au Roi Jean Sans Terre qui n’a, cependant, aucune intention de l’appliquer. Elle ne restera en vigueur pas plus de dix semaines. A peine promulguée, le Roi écrit au Pape Innocent III pour obtenir son annulation, ce qu’il obtient en août 1215. S’ensuit une guerre civile connue sous le nom de Première guerre des Barons.

La Magna Carta trouve une seconde vie après la mort du Roi en octobre 1216, remplacé sur le trône par son fils Henri III, âgé de seulement 9 ans. Les tuteurs du jeune Henri promulguent la Charte dans une version abrégée en 1216 (avec notamment l’absence de l’article 61). Elle est confirmée en 1217, en 1225 par Henri III alors âgé de 18 ans (réduite à 37 articles), puis en 1297 sous le règne d’Edouard 1er. C’est à cette dernière version que l’on se réfère en général lorsqu’on évoque la Magna Carta.

La volonté des Barons, en 1215, est de limiter les abus du pouvoir royal notamment en matière fiscale et ecclésiastique. Le texte s’inspire de la Charte des Libertés (Chart of Liberties ou Coronation Charter) proclamée par Henri 1er d’Angleterre dit Beauclerc en 1100, restée largement ignorée par les monarques successifs. Tombée en désuétude, elle est redécouverte par l’archevêque de Canterbury Étienne Langton.

La Magna Carta, qui comprend à l’origine 63 articles, va bien au-delà. Elle marque la fin de la toute puissance du Roi. Désormais, il n’est plus au-dessus des lois.

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Magna Carta, British Library Cotton MS Augustus II.10

L’article sans doute le plus important à l’époque est l’article 61 qui établit un Conseil de 25 barons (ancêtre de la Chambre des Lords) chargé de veiller au respect de la Charte au besoin sous contrainte (saisie possible des châteaux, terres et biens de celui qui y dérogerait).

Le Roi s’engage dans ce texte à garantir les libertés de l’Eglise d’Angleterre, de la ville de Londres, à se soumettre à la décision d’un «Commun Conseil» du Royaume pour la levée de l’impôt et à ne plus procéder à des arrestations arbitraires d’hommes libres.

La Magna Carta, en cherchant à remédier aux abus du roi, pose le principe de la prééminence du droit et les jalons de la monarchie parlementaire anglaise et du système pénal anglo-saxon [3] : le droit à un jugement par ses pairs (un jury), la nécessité de témoins fiables pour soutenir une accusation, l’interdiction de procéder à des arrestations arbitraires, la proportionnalité de la peine au crime commis.

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Edward Coke, par John Payne, 1670, National Portrait Gallery

Les droits octroyés ne concernent toutefois que les puissants, une petite élite. Les serfs, qui représentent la majorité de la population, en sont exclus. On pourrait donc s’étonner de prime abord qu’on invoque la Magna Carta comme pilier de la liberté et même de la démocratie.

Tombée dans l’oubli à la fin du Moyen Age, elle acquiert une portée symbolique au XVIIe siècle sous l’impulsion du juriste Edward Coke qui s’en empare pour affirmer que les rois sont également soumis à la loi et notamment les Stuart, James 1er et surtout Charles 1er [4].

Coke proclame ainsi en mai 1628 devant la Chambre des Communes : «Magna Carta is such a fellow, that he will have no sovereign». Il est un des principaux rédacteurs de la Pétition des Droits (Petition of Rights) de 1628, qui rappelle, en s’inspirant fortement de la Grande Charte, les droits ancestraux du peuple anglais.

Depuis lors, la Grande Charte est considérée comme un des textes fondateurs des droits et libertés individuels. Elle sera ainsi au coeur de la Révolution américaine et de la lutte d’indépendance contre la Couronne britannique. Elle sera également invoquée par les abolitionnistes pour combattre l’esclavage au Royaume-Uni et en Amérique. Elle influencera les rédacteurs de la Constitution américaine de 1787 et de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme adoptée en 1948.

Première édition américaine de la Magna carta, publiée par William Penn (réimpression de 1897)

Chaque exemplaire de la «Grande Charte» de 1215 est unique. Elle a été recopiée (avec des erreurs) par des scribes du Roi (en langue latine). Il reste à ce jour quatre copies originales datant de 1215. Deux se trouvent à la British Library à Londres, une à la cathédrale de Lincoln et la dernière à la cathédrale de Salisbury.

Aujourd’hui, seules trois dispositions de la Charte de 1297 sont encore en vigueur au Royaume-Uni :

  • la liberté de l’église d’Angleterre vis-à-vis du Roi (article 1),
  • les «libertés anciennes» de la ville de Londres (article 9, article 13 dans la Charte de 1215),
  • le droit à un procès équitable (article 39 dans la Charte de 1215).

 


1. [↑] Pays de common law : le Royaume-Uni (à l’exception de l’Ecosse), l’Irlande, le Canada (à l’exception de Québec), les Etats-Unis (à l’exception de la Louisane), le Canada, et les pays du Commonwealth.

2. [↑] Voir les différents articles du site internet de la British Library sur la Magna Carta ainsi que le site créé par le Magna Carta 2015 Committee pour les 800 ans de la Magna Carta : magnacarta800th.com.

3. [↑] Clause 38 : «In future no official shall place a man on trial upon his own unsupported statement, without producing credible witnesses to the truth of it.»

Clause 39 : «No free man shall be seized or imprisoned, or stripped of his rights or possessions, or outlawed or exiled, or deprived of his standing in any way, nor will we proceed with force against him, or send others to do so, except by the lawful judgment of his equals or by the law of the land.»

Clause 40 : «To no one will we sell, to no one deny or delay right or justice
http://www.bl.uk/magna-carta/articles/magna-carta-english-translation

Pour une traduction en français de la Magna Carta sur le site canadien Constitution du Royaume-Uni : des origines à nos jours :http://www.constitution-du-royaume-uni.org/resources/Magna%20Carta%201215.pdf ou le site de la Digithèque de matériaux juridiques et politiques de l’Université de Perpignan : http://mjp.univ-perp.fr/constit/uk1215.htm.

4. [↑] Voir l’article du Professeur Thomas J. McSweeney du College of William & Mary Law School : «Magna Carta and the Right to Trial by Jury» publié en 2014.