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Les gens de justice anglais I : les avocats et juges de paix

Comment ne pas se perdre dans la terminologie juridique utilisée en Angleterre, au pays de Galles et aux Etats-Unis pour désigner les gens de justice (attorney, barrister, solicitors, etc), sans parler des faux amis (magistrates) ?

En Angleterre et au pays de Galles

Tout d’abord, il existe en Angleterre et au pays de Galles deux type d’avocats : les barristers et les solicitors.

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Une barrister, film « The Crown Court« , University of Derby, YouTube

Le Barrister est un avocat plaidant et spécialisé dans un ou plusieurs contentieux. Il est autorisé à plaider dans toutes les juridictions mais représente en général les justiciables devant les juridictions supérieures (High Court, Crown Court, Court of Appeal, Supreme Court) pour le compte des solicitors. Il exerce également en qualité de conseiller juridique dans son domaine de spécialisation.

Il a été formé dans une des quatre grandes institutions londonniennes, les Inns of Court : the Honourable Society of the Inner Temple, the Honourable Society of the Middle Temple, the Honourable Society of the Lincoln’s Inn et the Honourable Society of the Gray’s Inn. Tout barrister doit adhérer à l’une de ces guildes durant l’ensemble de sa carrière. Elles ont chacune leur blason.

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Blason des Inns of Court. En haut: Lincoln’s Inn, Middle Temple, en dessous: Gray’s Inn et Inner Temple.

La première d’entre elles, Middle Temple, est apparue au 14ème siècle. A l’origine, les barristers y étaient formés et logés. Ils exerçaient leur profession en son sein. Les membres les plus anciens (benchers ou Masters of the Bench) assuraient la formation des plus jeunes au travers de débats judiciaires, de procès fictifs dans lesquels les benchers jouaient le rôle des juges. Aujourd’hui, la formation (Bar Professional Training Course) pour devenir barrister est assurée par des écoles de droit qui délivrent à l’issue un certificat. Le barrister doit ensuite effectuer un stage professionnel appelé pupillage, d’une année au sein d’un cabinet de barristers (barristers’ chambers) et être admis au sein d’une des quatre Inns of court. Une des exigences des Inns of Court est la participation à douze sessions de formation (suivies en général des douze diners traditionnels). A l’issue, une cérémonie (bar ceremony) est organisée. L’apprenti barrister est alors officiellement admis au barreau (called to the bar) par les membres benchers. Les inns of court ont également un rôle disciplinaire à l’égard des barristers.

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Ede and Ravenscroft, boutique fabriquant des perruques à Londres depuis 1689

En 2014, il y a 15716 barristers en exercice regroupés au sein du Bar Council (Ordre des barristers). La grande majorité des barristers exercent en libéral en qualité de tenants dans des cabinets (chambers) qui sont dirigés par des Queen’s counsels (conseillers de la Reine) [1]. Ce titre (QC) est conféré aux avocats les plus brillants qui ont au moins 15 ans d’expérience professionnelle. Le premier Queen’s counsel, nommé en 1597, est Francis Bacon. Lorsque l’avocat (barrister ou solicitor) est désigné Queen’s Counsels ou King’s Counsels, on emploie l’expression called within the bar ou encore called taking silk en raison de leur robe de soie [2]. On dénombrait, en 2014, 1625 Queen’s Counsels.

On se représente en général les barristers avec leur robe et leur perruque (en crin de cheval). Introduite en 1680, la perruque n’est cependant plus obligatoire pour les juges et les barristers depuis 2008 devant les juridictions civiles et familiales. Auparavant, les seuls barristers autorisés à ne pas porter de perruques étaient les hommes membres de la communauté Sikh et les femmes d’obédience musulmane portant le voile. Suite à une annonce, en novembre 2011, du président de la Cour Suprême, Lord Phillips, il est en outre possible de se présenter devant la Cour suprême en tenue civile. Le costume d’audience (avec la perruque) a par contre été maintenue devant les juridictions pénales. Les juges et les avocats sont uniquement dispensés du port de la perruque en matière pénale si l’affaire concerne des mineurs.

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Le Defense solicitor plaidant aux côté du prosecuting solicitor, film « The Magistrates’ Court » réalisé par l’University of Derby, YouTube

Le solicitor exerce une activité de conseiller juridique généraliste ou spécialisé à des particuliers, entreprises ou autres. Après des études à l’université, il doit suivre pendant un an une formation appelée «Legal practice Course», puis deux années d’apprentissage dans un cabinet d’avocat.

Le solicitor traite traditionnement de tous types d’affaires juridiques y compris devant les juridictions. ll peut assister des justiciables en matière pénale devant les Magistrates’ Courts et en matière civile devant la County Court dans la mesure où le ministère d’avocat n’y est pas obligatoire. Il doit par contre faire appel à un barrister afin qu’il plaide la cause de ses clients devant les juridictions supérieures (High Court, Crown Court, Court of Appeal, Supreme Court). Lorsqu’il intervient dans la rédaction d’actes en matière de transferts de biens immobiliers, de successions, son rôle se rapproche de celui d’un notaire.

Aujourd’hui, la distinction entre les solicitors et les barristers est moins marquée. Depuis quelques années, les deux professions tendent à se rapprocher. Depuis les années 90, sous réserve d’obtention d’une qualification supplémentaire, les solicitors (appelés alors solicitor-advocates) sont autorisés à plaider devant les juridictions supérieures. Après une longue revendication, les solicitor advocates ont été autorisés à porter comme les barristers une perruque avec leur robe de solicitor devant les juridictions d’appel ou de dernier ressort. Peu après la suppression de la perruque devant les juridictions civiles et familiales était décidée… Depuis 2004, les justiciables peuvent consulter directement les barristers sans nécessairement devoir passer par un solicitor.

La place des solicitor-advocates a fortement progressé ces dernières années. En 2012-2013, ils interviennent dans 24% des procès en Angleterre et au Pays de Galles. En octobre 2015, le nombre de solicitors exerçant en Angleterre et au Pays de Galles s’élève à 136294. Ils sont regroupés au sein de la Law Society (l’ordre des solicitors). Ils exercent à titre libéral dans des cabinets, des entreprises ou des administrations (in house lawyers).

Il convient, ensuite, de distinguer les juges professionnels des juges non professionnels qui sont des citoyens participant au fonctionnement de la justice.

Les Magistrates ou Justices of Peace (JPs) sont des juges non professionnels volontaires exerçant à temps partiel et non rémunérés (uniquement défrayés). En France, les magistrats sont au contraire les juges professionnels. L’origine des Justices of Peace remonte en Angleterre au 14ème siècle (fonction créée par une loi de 1361, Justices of the Peace Act 1361) voire au 12ème siècle [3]. Ils sont actuellement 23 200 en Angleterre et au Pays de Galles répartis au sein de 330 magistrates’ courts. Aucun bagage juridique n’est nécessaire pour devenir magistrate. Ils proviennent de tous les milieux socio-professionnels (du conducteur de bus à l’architecte, de l’assistance maternelle au chômeur, de l’enseignant au retraité, etc). Agés de 18 à 70 ans, ils doivent siéger 13 jours par an ou 26 demi-journées (ou encore 35 demi-journées s’ils siègent en matière familiale, ou en matière de délinquance juvénile). Ces citoyens, avec le déclin des jurys, représentent sans doute le mieux le jugement par des pairs (trial by peers) établi par la Magna Carta [4].

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Trois magistrates, film « the Magistrates’ Court » réalisé par l’University of Derby, YouTube

Les qualités recherchées chez un magistrate sont l’intégrité et une bonne réputation, des capacités de compréhension, des aptitudes en communication, une conscience sociale, un jugement éclairé, un engagement et une fiabilité sans faille. Ils sont nommés pour six ans par le ministre de la justice (Lord Chancellor) après recommandation d’un comité consultatif local. Ils doivent jurer ou pour des raisons religieuses déclarer solennellement «fidélité et sincère allégeance à Sa Majesté la Reine Elizabeth II, à ses héritiers et successeurs conformément à la loi» et de «servir loyalement notre souveraine, la Reine Elizabeth II en qualité de juge de paix et d’agir correctement à l’égard de tous d’après les lois et les usages de ce Royaume sans crainte et en toute impartialité, sans préférence ou inimitié» [5]. Ils reçoivent tous après leur nomination une formation obligatoire et sont parrainés par un magistrate plus ancien durant deux années. Ils peuvent ensuite être conseillés pendant l’exercice de leurs fonctions sur des points de droit et de procédure par des conseillers juridiques au sein des magistrates’ courts, appelés «Justices’ Clerks» et «Assistant Justices’ Clerks» (en général des solicitors).

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Guide des peines à l’usage des magistrates édité par le Sentencing Council for England and Wales

Les magistrates ont surtout des attributions sur le plan pénal. L’ensemble des affaires pénales, mêmes les plus graves, font l’objet d’une audience devant une magistrates’ court. Les magistrates jugent directement les infractions mineures ou summary offences (vols simples, dégradations, infractions à l’ordre public, infractions liées à la circulation, etc) ainsi qu’une partie des triable-either-way offences (infractions pouvant relever aussi bien des magistrates’ courts que des Crown Courts : cambriolages, blessures volontaires, etc.) avec l’accord du prévenu, ce qui représente plus de 90% des affaires. Ils renvoient, ensuite, devant une Crown Court les affaires relatives aux infractions les plus graves pour lesquelles qu’ils ne sont pas compétents à savoir les («indictable-only offences» : crimes comme meurtres, viols, etc.), les affaires relevant de «triable-either-way offence» lorsqu’ils considèrent les faits trop sérieux ou trop complexes ou à la demande du prévenu (s’il souhaite notamment être jugé par un jury) ou enfin après jugement sur la culpabilité pour la détermination de la peine s’ils estiment ne pas être habilités une sanction adaptée.

Les magistrates les plus expérimentés siègent également, après avoir reçu une formation spécifique, en matière de justice des mineurs [6] et en matière familiale et d’enfance en danger [7]. Ils interviennent également dans le recouvrement de certaines créances (redevance télé, taxe d’habitation) et la délivrance de licences à certains commerces.

Ils siègent en formations collégiales de deux ou trois magistrates (un bench (banc) de deux ou trois magistrats) présidées par l’un d’entre eux accompagné d’un ou deux assesseurs (wingers). Les magistrates peuvent prononcer des peines allant jusqu’à six mois d’emprisonnement (ou 12 mois s’il y a plus d’une infraction), une amende jusqu’à 5000 livres sterling ou une peine de travail d’intérêt général. Ils peuvent s’appuyer pour leur prise de décisions sur un guide des peines édité par le Sentencing Council for England and Wales organisme indépendant comprenant huit juges et six personnes du monde civil ayant une expertise en matière pénale (Queen’s Counsels, professeurs, policiers, etc).

à suivre…


1. [↑] Bien évidement, si le monarque est un roi, on parle de King’s Counsel.

2. [↑] D’où leur surnom, les silks.

3. [↑] Certains remontent l’existence des juges de paix à 1195 lorsque Richard Ier d’Angleterre dit Cœur de Lion nomment des chevaliers gardiens de la paix (keepers of the peace) afin de maintenir la paix dans les zones peu sûres.

4. [↑] Voir les articles sur les 800 ans de la Magna Carta, sur Le jury dans les systèmes anglais et américain (I) et Le jury dans les systèmes anglais et américain (II).

5. [↑] Serment : you «will be faithful and bear true allegiance to Her Majesty Queen Elizabeth the Second, her heirs and successors, according to law» and that you «will well and truly serve our Sovereign Lady Queen Elizabeth the Second in the office of Justice of the Peace, and will do right to all manner of people after the laws and usages of this realm without fear or favour, affection or ill will».

6. [↑] Les mineurs sont jugés par les Youth Courts dépendant des magistrates’ courts.

7. [↑] Les magistrates siègent depuis 2014 au sein de la Family Court qui regroupe l’ensemble du contentieux affaires familiales et enfance en danger. Auparavant, ils siégeaient au sein d’une chambre de la magistrates’ court appelée The family proceedings court.