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Retour sur la création de la Cour Suprême du Royaume-Uni

Le Royaume-Uni est doté depuis octobre 2009 d’une Cour Suprême à l’instar des Etats-Unis. Cette nouvelle juridiction succède à l’Appellate Committee qui siégeait au sein de la Chambre des Lords. Elle est installée à Londres en face au Palais de Westminster où siège le Parlement dans le bâtiment de Middlesex Guildhall.

Annoncée par la voie d’un simple communiqué de presse par le Premier Ministre Tony Blair en juin 2003, sa création constitue une véritable révolution remettant en cause une institution trouvant ses origines au Moyen-Age.

Middlesex Guildhall, Wikimedia Commons
Middlesex Guildhall, Wikimedia Commons

Elle procède de la volonté du gouvernement de consacrer clairement la séparation des pouvoirs au Royaume Uni et l’indépendance de la justice. Elle a été mise en place par le Constitutional Reform Act de 2005 qui a également entraîné la modification profonde de la fonction de Lord Chancellor [1] désormais limité à un rôle de ministre de la justice et le transfert d’une partie de ses attributions au Speaker [2], (président de la Chambre des Lords) et au Lord Chief Justice [3] (chef du système judiciaire) ainsi que le rattachement du Comité judiciaire du Conseil privé (Judicial Committee of the Privy Council) à la Cour Suprême pour le contentieux découlant de la dévolution.

L’indépendance des juges de l’Appellate Committee (les Law Lords) n’était pourtant pas mise en cause. S’ils avaient la possibilité, en qualité de membres de la Chambre des Lords, de participer aux débats parlementaires, et de voter les lois, en pratique, ils n’exerçaient quasiment jamais ce droit. En outre, depuis la loi Appellate Jurisdiction Act de 1876, seuls des juristes confirmés pouvaient siéger au sein de l’Appellate Committee.

La question de l’indépendance de la Haute Cour et sa séparation du pouvoir législatif et exécutif a commencé à se poser avec plus d’acuité à partir de la fin des années 90 notamment sous l’influence croissante de la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH).

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Cour européenne des Droits de l’Homme, Strasbourg, Wikimedia Commons

En 1998, le Royaume Uni a adopté le Human Rights Act, entré en vigueur en octobre 2000, qui prescrit une interprétation des lois de manière si possible compatible avec les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CESDH). Il ne s’agit pas d’une transposition pure et simple des dispositions de la CESDH dans le droit anglais, les lois votées par le parlement continuant de prévaloir dans tous les cas. En cas de constrariété entre une norme nationale et une disposition de la CESDH, le juge ne peut en aucun cas invalider la loi. Il ne peut qu’effectuer une «déclaration d’incompatibilité» avec la loi primaire.

La Cour européenne des droits de l’Homme, au visa de l’article 6 de la CESDH, a affirmé à plusieurs reprises que les Etats devaient garantir l’indépendance de la justice (cf. Procola v. Luxembourg). Suite notamment à l’arrêt McGonnell v. United Kingdom de la CEDH du 8 février 2000, le Royaume-Uni a commencé à craindre une condamnation de la Cour pour violation au principe d’indépendance et d’impartialité de la justice. Dans cette affaire, la CEDH a condamné le Royaume-Uni pour violation des exigences d’indépendance et d’impartialité de la justice posées par l’article 6 de la Convention. Elle a jugé ainsi incompatible l’exercice par le Bailiff de l’île de Guernesey à la fois de fonctions exécutives (adoption de la réglementation) et judiciaires en qualité de juge à la Royal Court, ce qui pouvait l’amener à devoir à trancher un différend relatif à une réglemention qu’il avait contribué à adopter.

Le parallèle est rapidement fait par les juristes et le gouvernement britannique entre la situation du Bailiff de Guernesey et celles des Law Lords désignées par l’exécutif cumulant des fonctions législatives et juridictionnelles ou celle du Lord Chancellor à la fois membre du cabinet du ministre, de la Chambre des Lords et membre de l’Appellate Committee.

De la Curia Regis à la House of Lords

Au Moyen-Age, le Roi s’appuyait sur un comité appelé Curia Regis composé de nobles et d’ecclésiastiques chargés de le conseiller dans ses fonctions d’administration et de justice.

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Chambre des Lords, « Microcosm of London » (1904)

A compter de 1399, lorsque la Chambre des Communes cesse d’exercer des fonctions juridictionnelles, la Chambre des Lords devient la Cour d’appel de dernière instance d’Angleterre, puis à compter de 1707 du Royaume-Uni (union des royaumes d’Angleterre et d’Ecosse). Elle va le demeurer pendant 600 ans tout en évoluant toujours vers plus d’indépendance.

En 1701, l’Act of Settlement consacre l’inamovibilité des juges des hautes juridictions (pas des juges de paix) et leur sécurité financière (salaire établi par le Parlement). Les juges sont nommés «during good behaviour» et non plus «during good pleasure of the Crown». Ils ne peuvent être révoqués que par une décision des deux chambres du Parlement. L’ensemble des Lords de la Chambre peut alors exercer des fonctions juridictionnelles. La Chambre des Lords se professionnalise à compter de 1876 avec la création des Lords of Appeal in Ordinary ou Law Lords. Leur nombre progresse régulièrement passant de deux en 1876 à douze en 1994. Ils sont nommés jusqu’à 70 ans voire 75 ans.

Suite aux bombardements du Palais de Westminster en 1941, les Law Lords cessent de siéger à la Chambre des Lords et prennent l’habitude de se réunir au sein de comités restreints, les Appellate Committee.

La Nouvelle Cour

En octobre 2009 lors de l’entrée en vigueur du Constitutional Reform Act, les douze Lords of Appeal in Ordinary en exercice deviennent les premiers juges de la Cour Suprême (first justices). Il leur est désormais interdit de siéger à la Chambre des Lords et de participer aux votes. Les prochains juges seront toujours nommés par la Reine sur proposition du Premier Ministre, après consultation du Lord Chancellor. Ils seront sélectionnés, pour plus de transparence, par une commission indépendante (the Judicial Appointments Commission [4]), composée de quinze membres, qui recommandera les candidats au Lord Chancellor.

La Cour Suprême demeure la juridiction d’appel suprême du Royaume-Uni (Angleterre, Irlande du Nord et Pays de Galle) en matière pénale et civile (à l’exception des affaires pénales écossaises). Elle juge aussi bien en fait qu’en droit. Par la règle du précédent obligatoire (binding precedent), ses décisions s’imposent aux autres juridictions.

Elle a repris les attributions du Comité judiciaire du Conseil privée (Judicial Committee of the Privy Council), juridiction relative aux pouvoirs de dévolution. Elle est notamment chargée du contrôle de la conformité des lois votées par les parlements régionaux (d’Écosse, du Pays de Galles et d’Irlande du Nord) avec les lois de dévolution (the Scotland Act 1998, the Northern Ireland Act 1998 and the Government of Wales Act 2006), ainsi qu’avec le droit de l’Union européenne ou la Convention européenne des droits de l’Homme.

L’appel devant la haute cour est toujours soumis à autorisation (leave to appeal). L’affaire doit en général, pour être recevable, soulever des points de droit d’importance générale («point of law of general public importance»).

Contrairement à d’autres cours suprêmes, la haute juridiction britannique n’a pas le pouvoir de contrôler la constitutionnalité d’une loi. Elle ne peut en aucun cas invalider une loi votée par le parlement qui est souverain. On observera cependant un intérêt croissant de la Cour suprême depuis quelques années pour les questions constitutionnelles, les droits fondamentaux. Tranquillement, la Cour Suprême commence à prendre de plus en plus d’autonomie à l’égard du pouvoir législatif et exécutif.

A l’heure où le Premier Ministre britannique David Cameron se dit ouvertement favorable au retrait du Royaume-Uni de la Convention européenne des Droits de l’Homme au profit d’une déclaration des droits britannique (Bill of Rights), et à l’abrogation du Human Rights Act [5], le site internet de la Cour Suprême, dans sa présentation de la juridiction, développe ses liens avec la Cour européenne des droits de l’Homme (The Supreme Court and Europe, Relationship with the European Court of Human Rights). Elle précise que si les déclarations d’incompatibilité n’ont pas de caractère contraignant, elles adressent cependant un message clair au législateur lui intimant de changer la loi afin de la rendre conforme aux dispositions de la CESDH.


1. [↑] Lord Chancelier : il était jusqu’à présent à la fois membre du gouvernement et président de la Chambre des Lords. La création d’un Ministère de la Justice date de 2007.

2. [↑] Lord Speaker : Président de la Chambre des lords.

3. [↑] Lord Juge en chef de la Cour d’Angleterre et du Pays de Galles : devenu chef de la magistrature d’Angleterre et du Pays de Galles et président de la division criminelle de la Cour d’Appel (Court of Appeal).

4. [↑] JAC : neuf juges ou juristes et six personnes extérieures au monde judiciaire. Le Lord Chancellor doit motiver sa décision de refus de nomination. Commission qui n’est pas sans rappeler le Conseil Supérieur de la Magistrature en France.

5. [↑] Tensions relatives au contentieux du droit de vote des prisonniers, au droit des étrangers, à la question des peines perpétuelles.