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La féminisation des Cours suprêmes anglaise et américaine

Les scandales actuels de harcèlements sexuels ou les tentatives de remise en cause du droit à l’avortement aux États-Unis nous rappellent combien la question des droits des femmes reste d’actualité. Avant d’entamer une série d’articles sur l’histoire des droits des femmes au Royaume-Uni et aux États-Unis, je souhaite m’arrêter sur la nomination en septembre dernier de Brenda Hale à la présidence de la cour suprême du Royaume-Uni. Pour la première fois, une femme a été portée à la tête de la plus haute institution judiciaire du pays.

Pendant très lontemps, les femmes n’ont eu aucune place au sein des plus hautes instances judiciaires des États-Unis ou du Royaume-Uni. Très majoritairement masculines, ces juridictions sont amenées à trancher des questions de nature constitutionnelle et des enjeux majeurs de société. La désignation d’une femme en leur sein est toujours considérée comme un événement en soi.

Les femmes à la cour suprême du Royaume-Uni

La cour suprême du Royaume-Uni a succédé en octobre 2009 à  l’Appellate Committee qui siégeait au sein de la Chambre des Lords. Son origine remonte à 1399 lorsque la Chambre des Lords est devenue la cour d’appel de dernière instance d’Angleterre. Il aura fallu 605 ans pour qu’une femme fasse son entrée parmi les juges de la haute instance judiciaire (les Lords, puis à compter de 1876, les Lords of Appeal in Ordinary ou Law Lords). 

De gauche à droite : Brenda Hale, Baroness Hale of Richmond et Jill Margaret Black, Lady Black of Derwent

Brenda Hale a été la première femme à intégrer l’Apellate Committee en 2004 et devenir Lord of Appeal in Ordinary. Elle a été nommée à cette occasion pair à vie et a acquis le titre de Baroness Hale of Richmond. L’expression Lady of Appeal in Ordinary ou Law Lady ne sera jamais employée pour la désigner bien que l’équivalent «Lady Justice of Appeal» soit utilisé pour les femmes siégeant à la cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles (Court of Appeal of England and Wales), plus haute cour de justice après la Cour suprême. En 2009, Lady Hale est devenue la seule femme siégeant à la cour suprême du Royaume-Uni [1]. A compter de juin 2013, elle a occupé le poste de vice-présidente de la cour.

En septembre 2017, elle a succédé à Lord Neuberger of Abbotsbury à la présidence de la cour suprême du Royaume Uni. En octobre 2017, elle est rejointe par Jill Margaret Black, Lady Black of Derwent, qui devient la deuxième femme sur les douze juges de la cour suprême.

Féministe engagée, Lady Hale prône depuis des années davantage de diversité (minorités ethniques et femmes) au sein du pouvoir judiciaire britannique [2]. Elle défend par ailleurs l’existence d’une approche féminine de la fonction judiciaire [3]. En 2015, elle fait le constat que les 3 juges suprêmes nommés depuis son entrée en 2004 à la cour suprême sont des hommes. Elle relève qu’ils sont tous blancs, que seuls deux d’entre eux ne sont pas passés par des écoles privées, trois par des internats non mixtes et deux n’ont pas étudié à Oxford ou Cambridge. Mais, tous sont d’éminents avocats employés par des cabinets privés [4]. Lors de sa prestation de serment le 2 octobre 2017, elle a émis le souhait de ne pas attendre treize années supplémentaires pour voir la nomination d’une troisième, puis quatrième et cinquième juge à la cour suprême.

Les femmes au sein de la cour suprême des États-Unis

La cour suprême des Etats-Unis est née en 1789, il y a 228 ans. Elle est composée de neuf juges nommés à vie par le président des Etats-Unis. Elle est présidée par l’un d’entre eux, le Chief Justice of the United States qui est le plus haut magistrat du système judiciaire américain. A ce jour, 113 juges ont siégé à la cour suprême, parmi eux quatre femmes. La première femme à intégrer la haute cour est Sandra Day O’Connor, nommée en 1981 par le président Ronald Reagan.

De gauche à droite, la juge Sandra Day O’Connor (juge honoraire), la juge Sonia Sotomayor, la juge Ruth Bader Ginsburg et la juge Elena Kagan à la cérémonie d’investiture d’Elena Kagan en octobre 2010, photographie de Steve Petteway

Elle est rejointe par Ruth Bader Ginsburg nommée par le président Bill Clinton en 1993. Suite à l’annonce de Sandra Day O’Connor de son départ en retraite, le président Georges Bush nomme en 2005 Harriet Miers, conseillère à la Maison Blanche, pour la remplacer. Celle-ci renonce suite aux vives critiques suscitées par sa nomination. Georges Bush nomme finalement Samuel Alito ramenant la proportion de femmes au sein de la cour à une sur neuf. Le président Barack Obama va nommer durant ses deux mandats deux juges suprêmes : deux femmes Sonia Sotomayor en août 2009 et Elena Kagan en mai 2010. Depuis 2010, la cour suprême des Etats-Unis compte donc parmi ses membres trois femmes toutes nommées par des présidents démocrates.

Dans une étude de mars 2017 [5], des professeurs de la faculté de droit de Northwestern Pritzkera, Tonja Jacobi et Dylan Schweers, ont analysé à partir de transcriptions d’audiences les jeux de pouvoir entre les juges suprêmes en examinant la manière dont chacun se coupait la parole. Ils concluent que si les femmes représentent moins d’un quart des juges suprêmes, elles sont nettement plus interrompues, que ce soit par leurs collègues masculins de la cour ou par les avocats hommes. Les conséquences ne sont pas anodines dans la mesure où elles se retrouvent régulièrement dans l’impossibilité de poser leurs questions, mais aussi de soulever des points et de convaincre. Les interruptions peuvent être directes, mais sont la plupart du temps non assumées par les hommes. Les auteurs font à cet égard référence au concept de «mansplaining» (mot composé à partir de « man« , homme, et « explaining« , expliquant) consistant pour les hommes à tenter d’expliquer de manière condescendante aux femmes ce qu’elles savent déjà. Ils constatent que certaines interruptions ont pour objet de poser la question à la place de la femme pour expliquer à l’interlocuteur tiers ce qu’elle «essaie de dire»… A l’inverse, les auteurs de l’étude soulignent que les femmes ne seraient à l’origine que de 4% des interruptions. Ils relèvent cependant que le discours excessivement poli des femmes à leurs débuts tend à diminuer au fils du temps et que celles-ci finissent par adopter un style plus direct et plus agressif pour éviter de se faire interrompre.


1. [↑] Voir les articles «Brenda Hale appointed as UK supreme court’s first female president» de Owen Bowcott, The Guardian, 21 juillet 2017 ; «Brenda Hale sworn in as first female president of UK’s supreme court», de Owen Bowcott, The Guardian, 2 octobre 2017 ; «Baroness Hale of Richmond ‘to become first woman appointed as Britain’s most senior judge’», de Henry Austin, The independent, 21 juillet 2017.

2. [↑] Voir l’article «Lady Hale: supreme court should be ashamed if diversity does not improve», de Owen Bowcott, The Guardian, 6 novembre 2015.

3. [↑] Voir l’article «’Women are equal to everything’: Lady Hale lives up to her motto», de Owen Bowcott, The Guardian, 21 juillet 2017.

4. [↑] Voir l’article «UK’s most senior female judge calls for more diversity at the top», de Owen Bowcott, The Guardian, 21 février 2013 ; l’article «Lady Hale: supreme court should be ashamed if diversity does not improve», de Owen Bowcott, The Guardian, 6 novembre 2015.

5. [↑] Voir l’étude «Justice, Interrupted: The Effect of Gender, Ideology and Seniority at Supreme Court Oral Arguments», de Tonja Jacobi et Dylan Schweers, Virginia Law Review, automne 2017.