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L’habeas corpus (VIII) : l’habeas corpus aux Etats-Unis après 2001

Nous poursuivons avec le droit à l’habeas corpus aux Etats-Unis après les attentats du 11 septembre 2011. Ainsi que nous l’avons vu dans le précédent article, à partir de 2004, la Cour Suprême des Etats-Unis rappelle à l’administration Bush le droit fondamental à l’habeas corpus.

Avec le soutien du Congrès, l’exécutif américain n’a cependant de cesse à partir de 2005 de mettre à néant la jurisprudence de la Cour suprême.

  • La loi sur le traitement des détenus de 2005

Le sénateur Lindsey Graham, portrait officiel datant de 2006, US Senate.

En réaction à l’arrêt Rasul v. Bush, un amendement proposé par le sénateur républicain Lindsey Graham est voté en novembre 2005 par le congrès américain privant les détenus étrangers de Guantanamo du droit de présenter des recours en habeas corpus devant les juridictions fédérales. Cet amendement est intégré à la loi Detainee Treatment Act (DTA) adoptée le 30 décembre 2005 qui prohibe les traitements cruels, inhumains et dégradants des prisonniers, y compris ceux incarcérés dans le camp de Guantanamo [1].

La loi entérine également la création des «Combatant Status Review Tribunals» (CSRT : tribunaux de révision du statut du combattant), des juridictions créées en juillet 2004 [2] par l’administration Bush, composées de trois officiers militaires, et chargées de vérifier à huis clos si les détenus de Guantanamo ont été correctement qualifiés d’ «ennemis combattants». Une fois la qualification d’ennemi combattant validée, les détenus pouvaient être jugés par les commissions militaires (military commissions).

  • La décision Hamdam v. Rumsfeld

La Cour suprême, en juin 2006, déclare dans la décision Hamdam v. Rumsfeld [3], que le Detainee Treatment Act n’a pas d’effet rétroactif et ne peut mettre un terme aux recours en habeas corpus engagés avant son adoption. Elle invalide également à cette occasion le système des commissions militaires. Elle énonce d’une part que seul le Congrès pouvait édicter de telles règles prévoyant les jugements par des tribunaux militaires. Elle évoque d’autre part le non respect du droit international (notamment l’article 3 des Convention de Genève de 1949).

  • La loi sur les commissions militaires de 2006

En octobre 2006, le Congrès autorise expressément dans la loi «Military Commissions Act» (MCA) [4], promulguée le 17 octobre 2006 par le Président Bush à mettre en place un nouveau système de commissions militaires pour juger les terroristes présumés.

Elle suspend, en outre, toute possibilité d’exercer un recours en habeas corpus pour les ennemis combattants étrangers détenus par les Etats-Unis dans le monde y compris les recours déjà intentés. Elle permet, enfin, le recours à des méthodes violentes d’interrogatoire.

Salle d’audience d’un Combatant Status Review Tribunal, par Christopher Mobley, juillet 2004.

Les Combatant Status Review Tribunals (CSRT) demeurent alors les seules juridictions devant lesquelles les détenus ont une possibilité de contester les motifs de leur arrestation.

Dans un rapport d’octobre 2006 intitulé «No-hearing hearings» [5], Mark P. Denbeaux, un professeur de droit à la Seton Hall University School of Law, et son fils Joshua Denbeaux, avocats de deux détenus tunisiens, examinent le fonctionnement des Combatant Status Review Tribunals pour 393 détenus à Guantanamo. Ils relèvent l’absence totale de procédure contradictoire de ces juridictions (absence de transmission au détenu des éléments de preuve à charge classifiés (hormis un résumé), absence d’assistance par un avocat, assistance par un «personal representative» (représentant personnel) non soumis à une obligation de confidentialité, absence de témoins cités par l’administration, rejet des demandes de témoins formulées par les détenus dans trois quart des cas, etc.). Parmi les 102 décisions dont ils ont eu connaissance, dans trois cas, le tribunal a estimé que les détenus n’étaient pas ou plus des «ennemis combattants». Ils précisent que les détenus concernés ont tous été rejugés à chaque fois (une deuxième, voire une troisième fois) et ont finalement été déclarés «ennemis combattants».

  • La décision Boumediene v. Bush

Anthony Kennedy, juge à la Cour Suprême

Le 12 juin 2008, la Cour suprême, dans la décision Boumediene v. Bush [6], insiste sur l’importance de l’habeas corpus comme libertés fondamentale garantie par le constitution américaine. Elle réaffirme le droit constitutionnel des étrangers détenus à Guantanamo par les Etats-Unis sous la désignation d’ «ennemis combattants» à contester la légalité de leur détention devant un tribunal fédéral américain. Elle déclare en conséquence inconstitutionnelles les dispositions du Military Commissions Act de 2006 suspendant l’habeas corpus pour les détenus étrangers.

L’auteur de l’opinion majoritaire, le juge Anthony M. Kennedy explique que «les lois et la Constitution sont conçues pour survivre et rester en vigueur même en des circonstances extraordinaires» [7]. Il décrit la procédure (CSRT) mise en place par l’administration Bush et le Congrès par le Detainee Treatment Act (DTA) comme un substitut insuffisant au recours d’habeas corpus [8].

à suivre…


1. [↑] Voir l’ouvrage Habeas Corpus After 9/11, Confronting America’s New Global Detention System, par Jonathan Hafetz, 2012, pages 140-144 ; l’ouvrage The Power oh Habeas Corpus in America, From the King’s Prerogative to the War on Terror, par Anthony Gregory, 2013, pages 126-127.

2. [↑] Idem Jonathan Hafetz, 2012, page 130 ; idem Anthony Gregory, 2013, pages 224-225.

3. [↑] Voir l’arrêt sur le site de la Cornell University Law School, Legal Information Institute (LII) ; idem Jonathan Hafetz, 2012, pages 147-149 ; idem Anthony Gregory, 2013, pages 229-232.

4. [↑] Voir le texte de la loi sur le site du Congrès américain (Library of Congress https://www.loc.gov) : https://www.congress.gov/bill/107th-congress/house-bill/3162 ; idem Jonathan Hafetz, 2012, pages 151-154 ; idem Anthony Gregory, 2013, pages 232-234.

5. [↑] Voir le rapport sur le site de l’université Seton Hall (New Jersey) : http://law.shu.edu/ ; idem Jonathan Hafetz, 2012, page 133 ; voir l’article «No-Hearing Hearings: An Analysis of the Proceedings of the Combatant Status Review Tribunals at Guantánamo», par Mark Denbeaux, Joshua Denbeaux, David Gratz, John Gregorek, Matthew Darby, Shana Edwards, Daniel Mann, Megan Sassaman, Helen Skinner, Seton Hall Law Review, numéro 4, volume 41, 2011.

6. [↑] Voir l’arrêt sur le site de la Cornell University Law School, Legal Information Institute (LII) ; idem Jonathan Hafetz, 2012, pages 158-165 ; idem Anthony Gregory, 2013, pages 239-242.

7. [↑] Voir l’opinion majoritaire rédigée par le juge Kennedy, page 70 : «We hold that petitioners may invoke the fundamental procedural protections of habeas corpus. The laws and Constitution are designed to survive, and remain in force, in extraordinary times. Liberty and security can be reconciled; and in our system they are reconciled within the framework of the law. The Framers decided that habeas corpus, a right of first importance, must be a part of that framework, a part of that law».

8. [↑] Voir l’opinion majoritaire rédigée par le juge Kennedy, notamment page 66 : «Our decision today holds only that the petitioners before us are entitled to seek the writ; that the DTA review procedures are an inadequate substitute for habeas corpus; and that the petitioners in these cases need not exhaust the review procedures in the Court of Appeals before proceeding with their habeas actions in the District Court