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La libération sous caution aux Etats-Unis (I) : vers une réforme du système de caution

Selon un principe très ancré aux Etats-Unis, un individu inculpé par un juge doit, sauf exception, demeurer en liberté dans l’attente de son procès compte tenu de la présomption d’innocence. La justice américaine s’appuie en grande partie sur la libération sous caution pour garantir la représentation en justice des personnes inculpées. Ce système de caution est aujourd’hui de plus en plus décrié. L’administration Obama elle-même, a appelé de ses voeux une réforme de ce système jugé discriminatoire envers les plus pauvres [1].

L’origine de la libération sous caution

Sans surprise, les Etats-Unis ont hérité du système de caution (bail) de l’Angleterre. Cette institution, qui serait aussi vieille que le droit anglais, remonterait à la période antérieure à la conquête de l’Angleterre par le normand Guillaume le Conquérant (William the Conqueror) en 1066 [2].

Huitième des dix amendements de la Déclaration des Droits américaine (United States Bill of Rights) ratifiée en 1791

L’origine de la caution n’est pas clairement déterminée. On la relie en général à la volonté du «sheriff» (représentant du Roi dans le «shire», circonscription administrative de l’époque pré-normande, remplacée au 12ème siècle par le «county») de ne pas vouloir porter la responsabilité de l’absence d’un accusé au moment du procès. Ainsi, pour garantir la comparution de l’accusé lors de son procès, une personne pouvait se porter caution pour celui-ci.

Au 13ème siècle, les procès présidés par des juges itinérants ne sont pas fréquents, l’attente peut parfois durer des années. L’emprisonnement a un coût financier important. Les prisons sont également poreuses et insalubres. De nombreux détenus décèdent en raison des conditions d’hygiène déplorables dans les cellules [3]. Au cours du 13-14ème siècle, le pouvoir d’ordonner des libérations sous caution est progressivement transféré des sheriffs aux justices of Peace (JPs, juges de paix) [4]. L’Habeas Corpus Act de 1679 rappelle le principe de la libération sous caution pour les prisonniers dans l’attente d’être jugés [5].

En septembre 1789, le congrès américain adopte, lors de sa première session, le Judiciary Act de 1789 [6] qui prévoit la libération sous caution pour l’ensemble des infractions à l’exception de celles punies de la peine capitale. Dans ce dernier cas, la possibilité d’une libération sous caution est laissée à la discrétion du juge. Le VIIIème amendement de la constitution américaine, emprunté à la déclaration des droits anglaise (Bill of Rights) de 1689 [7], exige en 1791 de ne pas ordonner de cautions excessives [8].

En 1966, le Congrès adopte une réforme du système de caution fédéral (Bail Reform Act of 1966) [9]. Cette réforme ne concerne pas les systèmes judiciaires des Etats qui traitent 90% des affaires judiciaires des Etats-Unis. Néanmoins, des Etats s’en inspirent. La loi valide le principe de la libération sans versement de caution sur la base de l’engagement formel de l’accusé de se présenter à l’audience. Elle prévoit également la possibilité pour le juge d’assortir la libération de mesures restrictives (conditional release) : contrôle de la toxicologie, soumission à des soins, mesures de contrôle par un service mandaté, etc. En cas de fixation d’une caution financière, elle autorise le versement au tribunal d’un acompte de 10% du montant de la caution.

Le Bail Reform Act, voté en 1984 par le Congrès, remet en cause la législation de 1966 et autorise désormais les juges fédéraux à placer en détention provisoire des individus afin d’assurer la sécurité de la communauté [10]. Dans un arrêt United States v. Salerno de 1987, la Cour suprême a validé ces dispositions ne remettant en cause selon elle ni la régularité de la procédure ni le VIIIème amendement de la constitution.

L’audience de fixation de la caution

L’objectif de la caution est de garantir que l’accusé se présentera bien aux audiences. Une fois que les charges retenues ont été notifiées à la personne arrêtée, se pose la question de sa libération dans l’attente de l’audience, et si oui dans quelles conditions.

Le juge statue lors d’une audience appelée bond hearing ou bail hearing (audience relative à la caution) [11]. Il est susceptible de rendre plusieurs décisions :

  • Salle d’audience du Comté de Knox dans le Nébraska

    il peut libérer la personne sans versement de caution en contrepartie de la promesse de celle-ci de se présenter aux convocations du tribunal (Release on Own Recognizance, ROR ou OR). Cette décision est la plupart du temps prononcée s’il s’agit d’une petite infraction, ou si la personne n’a pas d’antécédents et dispose de garanties de représentation (logement, emploi). Elle peut être assortie d’autres obligations et/ou interdictions (interdiction d’entrer en contact avec les témoins, de sortir du comté ou de l’Etat, de consommer de l’alcool ou des drogues, de détenir une arme, etc).

  • le juge peut en outre imposer le versement d’une somme d’argent et/ou réclamer des garanties pour s’assurer de la comparution ultérieure de la personne. Le montant est normalement fixé en fonction de l’infraction reprochée et des ressources financières de la personne accusée. La somme d’argent est restituée si elle se présente aux convocations, hormis certains frais.

  • il peut enfin imposer des mesures de contrôle par des agents mandatés (supervised release).

Une profession particulière : le bail bondsman

Pour pouvoir régler la caution fixée par le juge, la personne accusée peut faire appel à une agence spécialisée dans la garantie de cautions judiciaires («bondsman»). Ces professionnels fonctionnent un peu comme des agents d’assurance. Ils assurent le risque de non présentation à l’audience en réglant la caution si l’accusé ne comparaît pas. Ils réclament en échange de leurs services le paiement d’une commission fixée en général à 10% du montant total de la caution. Cette somme n’est jamais récupérée par l’accusé, qu’il soit ultérieurement déclaré innocent ou non.

Différentes agences spécialisées dans la garantie de cautions judiciaires, wikimedia commons.

Si l’accusé manque à l’appel, les bail bondsmen, qui risquent de perdre de l’argent, font appel à des bounty hunters (chasseurs de prime) pour le retrouver. Commence alors une véritable chasse à l’homme.

Ce «business» est une véritable industrie défendue au niveau national par le lobby American Bail Coalition. On estime le nombre de ces agences spécialisées à 14000 aux Etats-Unis. Elles sont cependant interdites dans plusieurs Etats : l’Illinois, le Kentucky, l’Oregon et le Wisconsin. En Angleterre et au Canada, elles sont non seulement interdites mais l’exercice de cette profession est aussi constitutif d’une infraction pénale.

Elles sont fortement critiquées par des associations comme l’American Bar Association et le National District Attorneys Association, qui militent pour une réforme du système de cautions qu’elles considèrent comme discriminatoire envers les plus pauvres (et concrètement les noirs et latino-américains). Les garants de caution judiciaire soutiennent quant à eux que ce système est efficace sans coûter un centime au contribuable. On estime pourtant en 2011 à 9 milliards de dollars le coût de la détention des personnes en attente de leur procès.

La réforme du système de caution

On estime à 450 000 le nombre de personnes incarcérées actuellement aux Etats-Unis uniquement parce qu’elles n’ont pas les moyens de payer leur caution ou les 10% de commissions des bondsmen. Dans les trois quart des cas, les faits reprochés ne sont pas des infractions avec violence. Le système est tel qu’il incite concrètement des personnes innocentes à plaider coupables pour pouvoir rentrer chez eux au plus vite. La détention est susceptible d’entraîner la perte d’un emploi, du domicile, la garde des enfants…  Statistiquement, les personnes incarcérées dans l’attente de leur procès ont plus de chance d’être déclarées coupables que les autres.

Plusieurs Etats envisagent de réformer leur système de caution. Cette réforme a été soutenue par le gouvernement fédéral sous la présidence Obama. L’Etat du New-Jersey a sauté le pas récemment avec une réforme entrée en vigueur le 1er janvier 2017. Si la nouvelle législation ne supprime pas les cautions en liquide, elle a pour conséquence de les diminuer très nettement. Sur 3382 affaires présentées aux juges d’Etat les quatre premières semaines de janvier 2017, elles ont été ordonnées dans seulement trois cas.


1. [↑] Voir l’article The Bail Trap de Nick Pinto, The New York Times, 13 avril 2015.

2. [↑] Voir l’article Bail: An Ancient Practice Reexamined, The Yale Law Journal, volume 70, numéro 6, mai 1961, pages 966-977 ; l’ouvrage Crime and criminal justice, de David W. Patterson, 1974, pages 92-93.

3. [↑] Idem The Yale Law Journal, mai 1961 ; David W. Patterson, 1974.

4. [↑] Voir l’article The Origins of Public Prosecution at Common Law, de John H. Langbein, The American Journal of Legal History, volume XVII, 1973.

5. [↑] Voir l’Habeas Corpus Act of 1679 sur le site http://www.constitution.org.

6. [↑] Voir le Judiciary Act of 1789 adopté le 24 septembre 1789 sur le site http://avalon.law.yale.edu/ :
Section 33. (…) « And upon all arrests in criminal cases, bail shall be admitted, except where the punishment may be death, in which cases it shall not be admitted but by the supreme or a circuit court, or by a justice of the supreme court, or a judge of a district court, who shall exercise their discretion therein, regarding the nature and circumstances of the offence, and of the evidence, and the usages of law. And if a person committed by a justice of the supreme or a judge of a district court for an offence not punishable with death, shall afterwards procure bail, and there be no judge of the United States in the district to take the same, it may be taken by any judge of the supreme or superior court of law of such state. »

7. [↑] Voir le texte de la Déclaration des droits anglaise de 1689 (ou Bill of Rights 1689, An Act Declaring the Rights and Liberties of the Subject and Settling the Succession of the Crown) sur le site http://avalon.law.yale.edu/ :

(…) And thereupon the said Lords Spiritual and Temporal and Commons, pursuant to their respective letters and elections, being now assembled in a full and free representative of this nation, taking into their most serious consideration the best means for attaining the ends aforesaid, do in the first place (as their ancestors in like case have usually done) for the vindicating and asserting their ancient rights and liberties declare

(…) That excessive bail ought not to be required, nor excessive fines imposed, nor cruel and unusual punishments inflicted;

Pour une traduction en français, voir le site http://mjp.univ-perp.fr :

(…) Dans ces circonstances, lesdits Lords spirituels et temporels et les Communes, aujourd’hui assemblés en vertu de leurs lettres et élections, constituant ensemble la représentation pleine et libre de la Nation et considérant gravement les meilleurs moyens d’atteindre le but susdit, déclarent d’abord (comme leurs ancêtres ont toujours fait en pareil cas), pour assurer leurs anciens droits et libertés :  

(…) 10° Qu’on ne peut exiger de cautions, ni imposer d’amendes excessives, ni infliger de peines cruelles et inusitées ;  

8. [↑] Voir les différents amendements sur le site : https://www.law.cornell.edu et notamment le huitième amendement : Excessive bail shall not be required, nor excessive fines imposed, nor cruel and unusual punishments inflicted.

9. [↑] Voir le site http://www.pretrial.org/ (glossary of terms) ; l’ouvrage Criminal Law and Procedure: An Overview, de Ronald J. Bacigal, 2008, page 239 ; l’article The Bail Reform Act of 1966 : A Practitioner’s Primer, Patricia M. Wald et Daniel J. Freed, American Bar Association Journal, volume 52, numéro 10, octobre 1966, pages. 940-945.

10. [↑] Voir le site http://www.pretrial.org/ (glossary of terms) ; l’ouvrage Criminal Law and Procedure: An Overview, de Ronald J. Bacigal, 2008, page 239.

11. [↑] Voir le site http://www.pretrial.org/ (glossary of terms) ; le site http://www.americanbar.org/ : How Courts Work.